Bibliotheca Alexandrina

Un colloque international

Gilles Gudin de Vallerin

Du 17 au 19 mai 1998, s’est tenu au centre international de conférences d’Alexandrie, situé aux abords du chantier de la future bibliothèque 1, un important colloque international, organisé par la Bibliotheca Alexandrina, la Bibliothèque publique d’information (BPI) et l’Unesco. Ce colloque a réuni des spécialistes égyptiens, tunisiens, algériens, saoudiens, jordaniens, marocains, français 2, allemands, espagnols, grecs, et devrait contribuer à clarifier les enjeux informatiques du projet.

Les deux colloques internationaux précédents avaient permis en 1994 et 1995 de définir la politique d’acquisition – le fonds encyclopédique de lecture publique –, et le contenu intellectuel de la nouvelle bibliothèque – la civilisation islamique, la Méditerranée et l’Égypte ancienne pour les collections de recherche.

Présentation du programme

En toute logique, il revenait à Mohsen Zahran, directeur général de la bibliothèque, et architecte de la ville d’Alexandrie, de présenter globalement le programme. Dès les années 1970, l’idée de voir renaître l’ancienne bibliothèque d’Alexandrie avait été évoquée par des universitaires égyptiens, et avait abouti en 1986 à une décision commune de l’Égypte et de l’Unesco. En 1989, c’est l’équipe norvégienne de Snøhetta qui est choisie pour la construction de cet équipement.

Aujourd’hui, l’objectif est de créer une bibliothèque moderne, de lecture publique et de recherche à la fois, et non de concevoir, comme cela avait été envisagé au départ, une réplique de la prestigieuse bibliothèque antique. L’édifice est implanté près des universités et du centre international de conférences, dans un ensemble urbanistique qui comprendra aussi un musée des Sciences et un planétarium. Ce bâtiment de 69 000 m2, doté d’une capacité de stockage de huit millions de volumes, donne sur la corniche d’Alexandrie. Il aura la forme d’un disque solaire de l’ancienne Égypte, d’un diamètre de 160 mètres et d’une hauteur de 32 mètres en sa partie la plus élevée. Son inclinaison vers la Méditerranée conduit à un aménagement intérieur en dix terrasses ou niveaux, qui accueilleront les différents départements thématiques. C’est en 1995 et 1996 qu’ont été effectués les fondations et leur cuvelage ; depuis 1997, le gros œuvre est en cours d’édification ; à son ouverture à l’automne 1999, 2 000 places assises et 250 000 volumes en libre accès seront proposés au public.

Avec plusieurs autres pays – l’Allemagne, la Norvège, l’Italie, le Japon, l’Arabie saoudite, etc. –, la France participe activement à la réalisation de cette bibliothèque. Dès 1993, a été créé un poste de conseiller à plein temps auprès du directeur général de la Bibliotheca Alexandrina par mise à disposition d’un conservateur de bibliothèque – depuis 1997, Gérald Grunberg 3. Une formation des personnels a été mise en place : accueil de stagiaires ou de boursiers à la BPI, à la BnF ou à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (ENSSIB). Des dons de documents ont été faits, et a été accordé un financement de l’étude de faisabilité du système informatique (4,4 MF). Après avoir retracé l’évolution des bibliothèques publiques en France, Antoine Carro-Réhault, qui représentait le directeur du livre et de la lecture, a renouvelé le soutien du ministère français de la Culture et de la Communication à ce grand projet international.

Le système d’information

Marc Giraud, de la société Cap Gemini, a présenté un prototype (VTLS, Virtua II) du système d’information encore en cours de conception, choisi parmi dix logiciels du marché. La difficulté réside dans le fait qu’il doit gérer deux alphabets (arabe, latin), le trilinguisme (arabe, anglais, français), et plus particulièrement la gestion automatisée des liens entre trois fichiers d’autorité. Avant le choix définitif du système, ce prototype offert par la France va d’abord servir à initier le personnel aux nouvelles technologies. Il est envisagé de dépasser la simple gestion de bibliothèque, d’offrir aux usagers des fonds multimédias numérisés dans un environnement Web et de relier l’Alexandrina aux bibliothèques égyptiennes, arabes et internationales.

L’enjeu de la réussite de cette informatisation a été rappelé dans une brillante intervention intitulée « De la lecture simple à la lecture assistée par ordinateur », prononcée par Christian Jacob, du CNRS, qui s’est placé du seul point de vue fondamental, celui de l’utilisateur. Le nouveau lecteur lit parallèlement plusieurs versions des textes, comme ceux de Montaigne édités électroniquement par Bibliopolis et présentés lors de ce colloque par Jean-Pierre Sakoun. Le texte dématérialisé permet ainsi au lecteur de devenir éditeur, puisqu’il annote les textes avec des balises intellectuelles (concepts identiques, notes de lecture, etc.). Avec l’autorisation des chercheurs, il serait nécessaire de conserver l’historique de leurs annotations informatiques, et de les mettre en réseau pour résoudre collectivement les problèmes les plus insolubles. La lecture numérique n’apporte pas seulement une ergonomie nouvelle, mais entraîne une évolution spectaculaire des méthodes de lecture et d’écriture. Cette « révolution » justifie pleinement qu’au moins 800 places assises soient informatisées dès l’ouverture de la Bibliotheca Alexandrina.

Défis

En plus de l’informatisation, Mohsen Tawfik, chargé des projets spéciaux à l’Unesco, a évoqué plusieurs des défis lancés par cette nouvelle bibliothèque : défi politique lié au choix du « livre avant le pain » dans un pays en voie de développement, défi architectural dû aux difficultés de cuvelage et à l’originalité du bâtiment, défi culturel du programme « Mémoire du monde » 4 de l’Unesco (avec notamment le microfilmage et la numérisation des Archives du canal de Suez conservées aux Archives nationales françaises à Roubaix), défi humain en matière de formation du personnel en la quasi-absence de bibliothécaires qualifiés en Égypte, défi budgétaire par le coût d’investissement (un milliard de francs) et de fonctionnement (100 MF par an) de cette future bibliothèque et enfin, défi d’identité d’une bibliothèque à la fois égyptienne, méditerranéenne et internationale.

Après avoir écouté les différents intervenants et discuté avec plusieurs bibliothécaires égyptiens, il semble que le problème essentiel soit de déterminer des missions spécifiques à cet équipement par rapport à la Bibliothèque nationale du Caire, dépositaire du dépôt légal, et en liaison avec la bibliothèque de lecture publique Moubarak du Caire. Tout en se devant d’être virtuelle et internationale, la bibliothèque d’Alexandrie va recevoir de nombreux étudiants et sans doute des adultes en formation continue au fur et à mesure de l’acculturation. Le défi d’identité ne pourra être relevé qu’en fonction d’objectifs clairs et des publics attendus sur place ou à distance.

Ce colloque devrait concourir à une meilleure prise en compte des mutations technologiques par la Bibliotheca Alexandrina. Mais bien évidemment, tous les types de bibliothèques, 5 sont concernés par le passage du système intégré de gestion de bibliothèque au système d’intégration de services (gestion de bibliothèque, Internet, documents numériques, cédéroms, et DVD), par la généralisation dans les années à venir du poste de lecture assistée par ordinateur (gestion d’un dossier personnel, récupération de données sur portables, lecture optique de caractères, déchargement sur disquettes) et par l’émergence technique (bibliothèque virtuelle) et sociologique (médiateur) d’une bibliothèque à la fois dans et hors les murs.

  1. (retour)↑  En ce qui concerne l’histoire de la première bibliothèque d’Alexandrie, cf. l’ouvrage de Luciano Canfora, La Véritable histoire de la bibliothèque d’Alexandrie, Paris, Desjonquères, 1986.
  2. (retour)↑  Martine Blanc-Montmayeur, de la bpi, Laurent Guillo, de la Bibliothèque nationale de France, Jean-Paul Roux-Fouillet, du cabinet Van Dijk, Denis Varloot, président du Palais de la découverte, Jean-Marie Arnoult, de l’inspection générale des bibliothèques, etc.
  3. (retour)↑  Cf. l’article de Gérald Grunberg, « Bibliotheca Alexandrina à mi-parcours », paru dans le bbf, 1998, n° 4, p. 75-83.
  4. (retour)↑  Cf. l’article d’Abdelaziz Abid, « Mémoire du monde : préserver notre patrimoine documentaire », bbf, 1997, n° 2, p. 8-15.
  5. (retour)↑  Et notamment celle de la ville de Montpellier, en cours de réinformatisation.