La médiathèque des entreprises

Marie-Hélène Kœnig

Bernadette Ribaut

La Médiathèque des entreprises est un service d'information pour les professionnels des entreprises, un lieu, une offre de prestations sur abonnement annuel. Ouverte au sein de la médiathèque de la Cité des sciences et de l'industrie depuis mai 1996, elle donne ici lieu à une présentation de la genèse et du déroulement du projet, ainsi que des premiers résultats après vingt mois de fonctionnement. Un tel service oblige à une adaptation fine de ses pratiques documentaires aux besoins de la clientèle, dans la limite des missions de la Cité des sciences et de l'industrie.

La Médiathèque des entreprises is an information service for business professionals, a place, a service provided on annual subscription. Open in the midst of the médiathèque at the Cité des sciences et de l'industrie since May 1996, it gives rise to this account of the genesis and unfolding of the project, as well as the first results after twenty months of operation. Such a service necessitates a precise adaptation of documentary practices to the needs of the clientele, within the scope of the Cité des sciences et de l'industrie.

Die Mediathek der Unternehmen ist ein Informationsdienst für die Beschäftigten in Betrieben, eine Stelle und eine Dienstleistung im jährlichen Abonnement. Sie wurde im Mai 1996 in der Médiathèque de la Cité des sciences et de l'industrie eröffnet und nimmt diese Gelegenheit zum Anlaß, die Genese und die Entwicklung des Projekts sowie die ersten Resultate nach 20 Monaten Arbeit zu präsentieren. Ein solcher Dienst verlangt eine genaue Abstellung der dokumentarischen Praktiken auf die Bedürfnisse der Kunden im Rahmen des Auftrags der Cité des sciences et de l'industrie.

En 1996, dix ans après son ouverture au public, la médiathèque de la Cité des sciences et de l’industrie (CSI) de la Villette ouvrait un service destiné aux entreprises : la Médiathèque des entreprises (MDE). Relevant de l’évidence et du paradoxe, le pari était double : proposer la MDE comme traduction concrète de l’une des missions de la CSI – « rendre accessible à tous les publics le développement des sciences, des techniques et du savoir-faire industriel » (décret fondateur du 18 février 1985) – imposer un service de nature commerciale dans un contexte de service public.

Le présent article fait le point sur la genèse du projet et présente les premiers résultats de vingt mois d’expérience, à l’issue d’une phase de montée en charge.

Genèse

L’information professionnelle fait partie, avec le loisir culturel, la formation et l’éducation, des trois objectifs inclus dans la charte de la Médiathèque, bibliothèque multimédia sur les thèmes scientifiques, techniques et industriels.

L’offre documentaire multimédia a donc été structurée selon cette triple finalité et a décliné l’information dite professionnelle de la manière suivante :

– l’environnement économique (analyses stratégiques et financières de secteurs d’activité) ;

– les entreprises elles-mêmes (annuaires et répertoires professionnels) ;

– l’information financière (analyses de groupe, études de marché, rapports annuels) ;

– les informations technologiques (ouvrages techniques, revues de veille technologique) ;

– les normes, brevets et marques, informations statistiques.

En plus de l’intégration de ces thèmes dans le fonds documentaire offert au public, deux services étaient proposés aux professionnels jusqu’à l’ouverture de la MDE : le service d’interrogation des bases de données (« La Comète ») ; le prêt multicartes. Par ailleurs, un « Club Performance », animé par la Délégation des affaires industrielles de la Cité, proposait un ensemble d’avantages en lien avec la programmation de la Cité (visites d’expositions, rencontres, conférences, etc.).

Fin 1993, François Reiner, directeur de la Médiathèque, a pris la décision de développer, structurer et rendre plus lisible cette offre, simultanément avec deux projets de diversification de l’offre de la Médiathèque pour le grand public : le réaménagement et le développement de la Didacthèque (espace de consultation de logiciels éducatifs) ; l’ouverture de l’accès à une partie du fonds « Science et société », jusque-là inclus dans le fonds contemporain de la médiathèque d’histoire des sciences, de didactique et de muséologie. Les observations sur le terrain convergeaient, grâce à l’existence d’une demande et de pratiques diffuses dans l’ensemble de la Médiathèque et au sein du service d’interrogation des banques de données, en plus du succès de la formule « Prêt multicartes ».

Gestion de projet

Comme pour les deux autres projets, un chef de projet a été nommé afin de piloter la conception et la réalisation de la MDE jusqu’à l’ouverture de l’espace.

La future responsable opérationnelle (jusque-là responsable du service d’interrogation des bases de données) a été immédiatement associée à la conduite du projet, avant que ne soit lancé véritablement le groupe-projet MDE. La première étape a été celle de la vérification de la faisabilité. Après une première étude de faisabilité et d’opportunité, l’ensemble du plan de travail jusqu’à l’ouverture a été préparé, avant même la constitution du groupe-projet. Une étude qualitative a été réalisée auprès de trente personnes (usagers, non-usagers ou anciens usagers) sur les services proposés aux utilisateurs professionnels (prêt et banques de données).

Définition…

Avec la constitution du groupe-projet a démarré la seconde phase, dite de définition. Le groupe-projet a été composé en prenant en compte deux critères : la participation aux services existant pour les professionnels, et l’implication documentaire thématique. Il s’est agi de personnes chargées de la constitution et de la gestion du fonds regroupant les documents cités ci-dessus, soit une quinzaine de personnes, médiathécaires et employés du service Prêt, y compris le (la !) chef de projet et la future responsable opérationnelle. Cette phase, ramassée dans le temps (3 mois), a conduit à la production d’une analyse fonctionnelle de l’espace, sur place et à distance, en mettant en regard les contenus et les moyens. Les fonctions identifiées étaient les suivantes : accueil et orientation, conseil et accompagnement, recherche documentaire, formation, produits documentaires, lieu de travail, lieu d’échanges, vitrine, mise en valeur de fonds, repos/détente (!).

Après une évaluation financière, une synthèse a été réalisée afin de décider de l’implantation et de faire un arbitrage budgétaire. Le profil de la MDE a commencé à se préciser : un lieu, un fonds documentaire volontairement restreint (« pas de petite médiathèque dans la grande ») en appui sur les ressources « du reste » de la Médiathèque, un faisceau de services jusqu’alors dispersés. La question de la constitution de l’équipe – à effectifs constants – était délibérément différée, en attendant une proposition de fonctionnement.

Concrétisation

La troisième phase a ensuite permis, dans un premier temps, de passer à la réalisation « matérielle » : constitution du fonds tous supports, plan de classement, questions juridiques et administratives, étude complémentaire pour la tarification, communication (interne/externe, objectifs, supports, calendrier). Une proposition architecturale a été faite sur la base de l’analyse fonctionnelle de la phase précédente, en excluant, à notre demande, pour les fonctions de médiation, l’implantation d’un bureau d’information permanent. Puis un travail de scénarisation de l’organisation a été réalisé à partir des contraintes suivantes : pas de création de poste, ouverture de l’espace MDE aux jours et heures d’ouverture de la Médiathèque 1, compensations temporelles liées à l’aménagement du temps de travail, en vigueur à la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette depuis un accord de 1986. Après validation du schéma organisationnel, un profil de poste a été élaboré, décrivant les activités, compétences, connaissances, et expériences, et diffusé auprès de l’ensemble du personnel de la Médiathèque.

J – 5 mois

Le recrutement (interne) a marqué le début de la quatrième et dernière phase, dite d’« opérationnalisation ». Une commission de recrutement devait préfigurer ce qui se fait désormais en matière de recrutement à la Médiathèque. Trois médiathécaires ont été retenues, partageant leur temps à deux tiers pour la Médiathèque des entreprises et à un tiers pour leur service thématique d’origine (biologie et physique-chimie). En parallèle à la fermeture de l’ancien service d’interrogation de banques de données, et au démarrage des travaux, un plan de formation était développé pour l’équipe, comprenant la communication commerciale et une formation-action au marketing.

Cette dernière avait pour objet de finaliser le plan marketing. Au terme de ce travail, des cibles ont été définies, parmi les types d’entreprises repérées dans l’environnement de la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette. Une analyse a également permis de repérer des comportements par rapport à l’information, en fonction de la taille des entreprises et de leur familiarité avec les nouvelles technologies de l’information. Il ne restait plus qu’à définir le type de médiation en regard. À partir de ce ciblage, ont été arrêtés : une stratégie commerciale, une stratégie de communication et un plan d’action commerciale.

La Médiathèque des entreprises était prête à l’ouverture… ce fut le 9 mai 1996, et un abonnement fut pris dès le premier jour…

Premier bilan

Vingt mois après l’ouverture du service, les soixante-quinze abonnements contractés correspondent à soixante-deux entreprises dont treize ont renouvelé leur abonnement. Le profil majoritaire des clients actifs est représenté par des structures de petite taille (effectif inférieur à dix personnes), exerçant leur activité dans les services aux entreprises 2 : il s’agit de consultants, de conseils en systèmes informatiques, d’éditeurs de revues, de prestataires de formation…

Parmi ces abonnés se trouvent des associations proposant des services de soutien et conseils aux entreprises, la majorité des clients étant cependant des SA ou SARL. Les entreprises abonnées sont implantées majoritairement en Ile-de-France : 86 % ; 12 % d’entre elles sont localisées en province : région Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Picardie.

Besoins d’informations pratiques

L’intégration et l’exploitation des informations dans l’activité quotidienne des clients sont liées de façon implicite à leur activité principale, leur effectif et leur organisation. L’information est souvent la matière première de l’activité exercée, sa valeur ajoutée varie dans le temps en fonction de l’objectif d’exploitation.

En conséquence, la majorité des clients possède une certaine « familiarisation » avec la recherche d’information à trois niveaux différents :

collecte de l’information : ils ont une connaissance des sources d’information, utilisent la Médiathèque des entreprises en complément de ressources internes ou d’autres ressources extérieures (autres biblio- thèques, centres spécialisés…) ;

méthodologie de recherche : ils ont tendance à utiliser toujours les mêmes sources et un intérêt pour la multiplicité et la confrontation des sources concernant un même sujet ;

moyens techniques associés à la recherche d’information : la majorité des clients sont déjà des praticiens des nouvelles technologies de l’information (NTI) : recherche sur catalogues en ligne, connaissance et utilisation de cédéroms.

Le type d’informations recherchées dans ce contexte est à forte dominante économique : études de marché sur un secteur, surveillance de la concurrence. Le besoin s’exprime de façon ponctuelle et dans l’urgence ou bien fait l’objet d’une démarche de « veille » à plus long terme.

Usages et comportements

Les indicateurs recueillis à partir des données de facturation des services spécifiques, des enregistrements de passage dans l’espace ou des consultations des postes informatiques sur place, ont permis d’analyser l’utilisation des services spécifiques et les usages sur place ou à distance.

Sur un échantillon de deux cents demandes exprimées, 82,6 % se font à distance. La fréquence de sollicitation des services spécifiques refacturés est d’une fois par mois et plus pour 33 % des clients.

Sur huit services faisant l’objet d’une facturation, 34 % des abonnés utilisent un service spécifique, 26 % n’utilisent aucun service spécifique.

La fréquentation sur place (données extraites du sas d’entrée), multipliée par 2,4 entre les mois de janvier et décembre 1997, se situe jusqu’à cinq clients et plus par jour. Des pics de fréquentation ont été identifiés sur certains mois et jours de la semaine, probablement liés au rythme d’activité des entreprises clientes : 23 % des entreprises ne se déplacent jamais.

La variété des thèmes des demandes est grande : secteurs de l’automobile, sous-traitance, produits médicaux, etc. Les ressources prioritairement exploitées sont les banques de données en ligne, l’emprunt des documents de la médiathèque publique et la fourniture de documents originaux.

Typologie des clients

L’observation des comportements et pratiques des clients (fréquence de sollicitation, déplacements, rapport à l’information) a permis de dresser une typologie :

les boulimiques : ils sollicitent plusieurs fois par semaine, à distance et toujours sur le même type de questions, ou bien, pour une recherche à distance, ils posent en une seule fois, plusieurs questions sans lien entre elles, avec une difficulté à délimiter leurs besoins ;

les clones : ils appartiennent à la même société et sollicitent de façon indépendante ; plusieurs questions à distance sont donc exprimées simultanément par la même société ;

les provinciaux : ils nous contactent régulièrement et mettent à profit leur venue à Paris (environ tous les deux mois) pour fixer un rendez-vous et faire le point sur leurs besoins et sur les recherches traitées ;

les assistés : ils se déplacent en général, mais ont besoin d’un accompagnement « rapproché » pour naviguer dans les sources et pour se servir des outils techniques ;

les intégrés : ils se sont approprié les lieux et viennent très régulièrement (plusieurs fois par semaine), testent tous les services et sollicitent de façon modérée le personnel, ils peuvent aussi utiliser la médiathèque comme leur lieu principal de travail (entreprise en création) ;

les autonomes : ils se déplacent, utilisent les outils de façon autonome, demandent des précisions mais ne sollicitent jamais de façon importante. Ils travaillent en groupe et il peut y avoir une rotation très importante des personnes se déplaçant (stagiaires) ;

les muets : ils ne se manifestent jamais, mais utilisent peut-être le prêt. Au-delà de l’anecdote, il s’agit de caractériser des comportements pour une analyse des usages et de l’offre à des fins d’évaluation.

La diversité des usages constatés rend compte des différents types de médiation mis en œuvre avec chaque catégorie de clients. Il peut s’agir :

– d’assistance purement technique sur un outil de type cédérom, avec création de supports écrits permettant d’augmenter l’autonomie ;

– de sensibilisation/formation initiale à une exploitation globale des ressources documentaires mises à disposition : connaissance des sources, méthodologie d’exploitation, pratique des outils techniques. Une séance de formation est systématiquement proposée en début d’abonnement à un groupe de personnes de l’entreprise ;

– de conseil/orientation dans une démarche de recherche d’informations déjà initiée par le client de façon autonome : nous sommes là dans notre rôle d’expert en documentation, complémentaire de l’expertise sectorielle du client : nous élargissons le champ des ressources documentaires exploitables, identifions les sources les plus pertinentes et facilitons leur exploitation.

Réflexions professionnelles

La création de ce service a induit une adaptation de nos pratiques professionnelles :

adaptation liée à la spécificité du public. Il s’agit ici d’une relation commerciale basée sur la notion de client/fournisseur, la notion de service, avec établissement d’une relation de confiance en lien avec le suivi personnalisé ;

adaptation à la pratique de marketing. Il s’agit ici d’un service payant faisant l’objet de prospection et d’un plan d’action commerciale, où est pris en compte l’environnement du marché.

Comparativement à l’offre précédente du service « La Comète », axée sur les moyens techniques utilisés, l’offre actuelle est centrée sur le service, avec utilisation modulable : l’on part des besoins de la cible choisie, et l’on met en adéquation l’offre et le besoin.

Une place importante est à réserver à l’évaluation : il apparaît fondamental d’intégrer cette phase très en amont dans le projet. La difficulté réside dans la définition a priori des indicateurs pertinents, qui sont ensuite à valider ou à réajuster.

L’évaluation interne et externe auprès des clients va permettre les réajustements à court terme et également à plus long terme, en agissant sur l’offre elle-même, le recadrage éventuel des cibles, et en intégrant l’évolution de l’offre sur le marché.

Un des multiples services de la Médiathèque

La création d’un service comme la Médiathèque des entreprises au sein d’une médiathèque publique illustre sans doute le changement de paradigme que vivent les bibliothèques depuis plusieurs années. C’est celui du passage d’une offre centrée sur les collections à celle d’une offre centrée sur les services aux publics.

Témoin de ce mouvement de fond, la création – ou la restructuration –, ces dernières années, de services comparables dans des bibliothèques : le service « Prisme » à la Bibliothèque nationale de France, l’Infothèque du pôle universitaire Léonard de Vinci, les services de la Bibliothèque universitaire et technologique de Compiègne et des bibliothèques publiques, etc.

De tels services, s’adressant à des professionnels des entreprises, sont déjà proposés par des organismes publics ou privés (Chambres de commerce et d’industrie, Agences régionales pour l’information scientifique et technique, consultants, etc.). Dans la chaîne documentaire, ils se situent en aval, et proposent des produits élaborés, spécifiques, mono-clients, prenant en compte la globalité du besoin, ce qui peut conduire à un audit, une expertise, voire des solutions « clé en main ».

En tant que service d’une bibliothèque publique, la Médiathèque des entreprises se situe plus en amont, dans la première phase de la chaîne documentaire, celle de l’accès et la collecte de l’information. L’originalité du service réside par ailleurs dans les spécificités thématiques de la Cité des sciences et de l’industrie, qui s’avèrent être au centre des préoccupations actuelles des entreprises. Les missions de service public de l’établissement lui assurent une légitimité, par la contribution apportée au tissu économique local, régional, voire national.

Si la Médiathèque des entreprises propose une concentration de l’offre existant à la Médiathèque, étayée par les services d’information en ligne et l’assistance documentaire personnalisée (la « Médiathèque en classe Affaires »), elle reste l’un des multiples services de la Médiathèque. La dimension commerciale ne fait que cristalliser la préoccupation de tout service d’information documentaire : l’adéquation la plus fine d’une offre aux besoins des utilisateurs.

Avril 1998

Illustration
L'offre de la Médiathèque des entreprises

  1. (retour)↑  Du mardi au dimanche, de 12 h à 20 h, soit 48 heures d’ouverture, permanence téléphonique en dehors de ces plages.
  2. (retour)↑  Code NAF (Nomenclature des activités françaises) = conseils pour les affaires et la gestion.