The 1996 National Survey of Public Libraries and the Internet

Progress and Issues. Final Report

par Anne-Sophie Chazaud-Tissot

John Carlo Bertot

Charles R. McClure

Douglas L. Zweizig

Washington, DC : National Commission on Libraries and Information Science, 1996. 67 p. ; 27 cm. isbn 2-16-048736-6

Les pouvoirs publics américains ont manifesté très tôt leur intérêt (dans tous les sens du terme) pour Internet. Ainsi, et en marge du seul champ économique ou commercial, l'État a considéré l'importance de cette nouvelle technologie au sein des bibliothèques publiques. Une première enquête nationale avait été menée en 1994, établissant un état des lieux, alors que peu d'établissements bénéficiaient d'une connexion.

Il est apparu nécessaire de mener ces enquêtes puisque, conjointement, s'est développée la National Information Infrastructure (NII), dont le but est de rassembler en un seul réseau l'ensemble des systèmes d'informations. La politique gouvernementale américaine a ainsi permis la création d'une commission spéciale, afin d'encourager la participation des institutions publiques et privées. On peut d'ailleurs noter que le gouvernement ne finance pas la création de cette infrastructure qui doit être, selon lui, laissée aux mouvements du libre marché et de l'entreprise commerciale : son rôle est essentiellement d'encourager au développe- ment des nouvelles technologies.

Pour leur part, les professionnels tenaient beaucoup à ce que les bibliothèques publiques soient associées à ce mouvement, tandis que, de son côté, la National Commission on Libraries and Information Science (NCLIS), commanditaire de l'enquête, voulait aider les bibliothécaires à cerner clairement leur rôle au sein de la nii, afin d'informer les politiques et d'identifier les coûts.

Enfin, en 1996, le contexte a évolué du fait de différents événements, notamment sur le plan juridique : le Telecommunication Act de 1996; le développement du Universal Service, émanant de la Federal Communication Commission (FCC) ; le Library Services and Technology Act (LSTA), intervenant en remplacement du Library Services and Construction Act (lsca), et dont l'objectif était d'accroître l'infrastructure électronique dans les bibliothèques ; et enfin, le développement d'un code de la propriété intellectuelle approprié à l'environnement de l'édition électronique.

Une méthodologie efficace

L'enquête elle-même a été menée avec une rare promptitude, ce que permettait sans doute un type d'analyse purement factuel et quantitatif, mais également une méthodologie efficace.

Début 1996, les bibliothèques publiques recevaient une carte postale leur annonçant la future enquête, dans laquelle la NCLIS expliquait aux professionnels la nécessité de répondre rapidement au questionnaire qui leur serait bientôt expédié.

Un second courrier s'employa à présenter la NCLIS et ses objectifs. Plusieurs annonces sont également parues dans la littérature professionnelle, notamment dans le LJ Hotline, justifiant encore une fois l'enquête à venir, et s'engageant à proposer un premier rapport dès l'été 1996. Le questionnaire fut ensuite envoyé aux bibliothèques publiques, avec une prise en charge complète des frais d'affranchissement pour les retours de courrier.

Dans le même temps, la NCLIS a informé les agences en charge des bibliothèques dans chaque état de sa démarche et des établissements qui avaient été contactés. Le rôle assigné aux agences était alors d'assurer le plus fort taux de réponse possible : ainsi, le Federal-State Cooperative Systems (FSCS) a été particulièrement actif dans la relance des bibliothèques qui ne répondaient pas. Afin d'accroître encore le taux de retour, 250 nouveaux questionnaires ont été renvoyés à des établissements qui n'avaient pas répondu. Une nouvelle aide a encore été demandée au FSCS. Enfin, les bibliothèques pouvaient envoyer leur réponse par le biais du réseau Internet. La collecte des informations s'est close le 15 mars 1996, et, au total, sur 1 495 enquêtes distribuées, 1 059 furent retournées, ce qui représente donc un taux de 70,8 % de réponses.

La méthodologie utilisée révèle un certain nombre de particularités dont les institutions ministérielles chargées des bibliothèques en France pourraient s'inspirer, et notamment : une volonté manifeste de tout mettre en oeuvre - à commencer par un solide budget d'enquête - pour évaluer l'avancement des nouvelles technologies mises au service de la circulation de l'information, une réelle structure de coordination sur le plan étatique, servant de relais, en parfaite complémentarité avec les structures fédérales.

Connexion d'une bibliothèque sur deux

Les données fournies par l'enquête laissent apparaître un taux de connexion à Internet pour 45 % des bibliothèques publiques (21 % en 1994). Cependant, de nettes disparités existent selon la taille des villes desservies par les établissements : ainsi, 82 % des bibliothèques publiques desservant une population supérieure à un million d'habitants sont connectées, tandis que « seulement » 31,5 % des établissements desservant moins de 5 000 habitants accèdent au réseau.

Ce sont les bibliothèques de taille moyenne (pour une population de 25 000 à 250 000 habitants) qui ont connu le plus fort taux d'accroissement en connexions. Parmi les bibliothèques qui n'étaient pas connectées au moment de l'enquête, 57 % indiquaient avoir programmé leur mise en réseau dès mars 1997. On peut souligner que la très grande majorité d'entre elles destinaient cette connexion future à la fois à usage interne et à usage public.

Ce premier bilan chiffré peut être doublement interprété : certes, une bibliothèque publique sur deux est d'ores et déjà connectée, et ce chiffre est amené à s'accroître encore, mais, d'autre part, la population desservie par chaque bibliothèque permet de constater une tendance inquiétante dans ce développement technologique : en effet, la taille de la bibliothèque, mais aussi le milieu urbain, conditionnent l'accès à Internet.

Les modes de connexion révèlent le même type d'égalités : plus la population desservie est importante, plus les connexions sont opérées par le biais de lignes louées. Ces dernières, qui sont alors exclusivement réservées à l'usage d'Internet, permettent la circulation d'un plus grand nombre de données, et à une plus grande vitesse. Ainsi, les informations multimédias qui circulent sur le réseau, fortes consommatrices de bytes, deviennent disponibles, ce que permet peu l'usage de lignes téléphoniques ordinaires (désignées dans l'enquête par dial-up connections).

Ainsi, il apparaît que les bibliothèques en milieu rural n'offrent pas une largeur de bande suffisante pour la circulation des données numériques.

On peut néanmoins noter un accroissement important du nombre de lignes louées utilisées dans l'ensemble des bibliothèques publiques.

La mise en accès public

Une partie de l'enquête est consacrée aux usages d'Internet dans les bibliothèques publiques, notamment pour ce qui concerne la mise en accès public.

Cependant, et contrairement à ce que l'on souhaiterait découvrir, il ne s'agit pas, pour les enquêteurs américains, de s'interroger sur l'apport d'Internet en matière d'accès au savoir, de structuration des connaissances, ou de satisfaction de la recherche documentaire : il s'agit simplement de savoir quels sont les services proposés au public, sur un plan technique. Ainsi, l'on découvre que la majorité des bibliothèques publiques n'offrent pas d'accès public aux services Internet. On peut notamment souligner le très faible pourcentage d'accès public aux newsgroups (11,6 %) et au courrier électronique (10 %). En outre, ces services sont très majoritairement disponibles uniquement à la bibliothèque centrale, par opposition aux annexes.

Un phénomène intéressant mérite néanmoins d'être souligné : en effet, les bibliothèques publiques desservant une population inférieure à 10 000 habitants sont celles qui fournissent le plus fort pourcentage d'accès public à l'e-mail (jusqu'à 17 %), ce que l'on peut expliquer par un désir de « désenclavement informationnel ». De la même manière, les populations inférieures à 250 000 habitants bénéficient du plus fort taux d'accès aux newsgroups.

En général, les bibliothèques publiques ne font pas payer l'accès à Internet (seulement 3 % d'entre elles). Cela peut notamment s'expliquer par le fait que les bibliothèques américaines recourent, pour leurs connexions, à un « pop » (Internet Service Provider's Point of Presence). Or les communications locales sont gratuites ou très peu coûteuses, ce qui évite à la bibliothèque tout frais de connexion, quelle que soit la durée des consultations.

Enfin, un très court chapitre se penche sur les apports d'Internet aux bibliothèques, identifiés par l'enquête, et livrant nécessairement des réponses prévisibles : accès à l'information électronique, communication avec les autres professionnels et avec le public, augmentation du nombre de services de références.

Les conclusions de l'enquête laissent apparaître certaines inégalités et s'interrogent sur la qualité réelle des services proposés dans les bibliothèques, sans pour autant se pencher sur la nature des informations circulant sur le réseau, ni sur leur complémentarité avec les supports imprimés, ni même sur la satisfaction du public qui demeure le grand absent de ce travail. L'enquête dresse néanmoins une grille d'évaluation des services qui peut être relativement efficace 1.

Bibliothécaires et qualité des services

Si les données de l'enquête insistent peu sur le public, l'accent est judicieusement mis sur le rôle des bibliothécaires dans la qualité des services proposés : ainsi, les analystes déplorent que seulement 10,7 % des bibliothèques publiques entretiennent un site Web, et encore ne s'agit-il souvent que d'une page d'accueil où apparaissent une photo de l'établissement et les horaires d'ouverture. Le but serait donc de proposer un accès au catalogue, un service de références en ligne, et de pointer vers d'autres sites. L'enquête insiste notamment sur la nécessité d'un entretien technique et humain de ces services.

Enfin, quelques critères sont proposés pour évaluer, à l'avenir, la qualité des services proposés, en termes de service au public : l'étendue (nombre d'usagers...), le rendement (en termes de coûts), l'efficacité (mesure le degré de satisfaction des objectifs), la qualité du service (dans quelle proportion les usagers trouvent-ils les informations recherchées ?), l'impact (comment les services Internet permettent à l'usager de résoudre certains problèmes relatifs, par exemple, à sa qualité de vie), l'utilité (dans quelle mesure des services appropriés sont proposés à différents types d'usagers : quelle adéquation existe-t-il entre une demande et l'information délivrée ?).

Cette enquête fournit, dans le détail, une quantité d'informations impressionnante. Elle apporte de nombreux éclairages sur le plan technique et peut, en effet, s'avérer particulièrement utile dans le cadre d'une action gouvernementale en direction des bibliothèques.

Cependant, on peut regretter que cette présentation morcelée des données statistiques ne soit pas véritablement suivie d'un développement dialectique et synthétique plus complet : les causes de tel ou tel phénomène pointé par les chiffres sont rarement évoquées. L'apport de toute cette infrastructure technologique pour le public n'est pas envisagé selon une analyse problématisée et, dirions-nous, conceptualisée, sauf en quelques lignes trop rapides reléguées en toute fin d'ouvrage.

La désormais célèbre « avance américaine » en matière de développement technologique, fréquemment invoquée par certains observateurs français, certes constatable sur quelques plans factuels (à commencer par l'existence même de cette enquête), pourrait bien s'avérer être, également, un terrible retard en matière de réflexion critique.

  1. (retour)↑  Pas de services ni de ressources réellement proposés.2. La bibliothèque offre certaines ressources électroniques : il s'agit d'un simple transfert des données imprimées vers le support électronique (comme, par exemple, pour l'information locale).3. Des services grâce auxquels l'usager est autonome : réservation d'ouvrages, consultation du programme de la bibliothèque, etc.4. Des services interactifs : ceux-ci permettent des relations entre usagers et bibliothécaires, des discussions sur les ouvrages, ou même une communication entre les usagers.5. Un service fonctionnant comme une sorte de système expert, par lequel, intelligemment, la bibliothèque fournit des informations à tel usager selon ses pratiques de lecture et ses centres d'intérêt.