Construire une bibliothèque universitaire

L'exemple de Paris 8

Madeleine Jullien

Véronique Chabbert

L'université de Paris 8 ayant connu depuis 1980 une croissance très rapide, les locaux de sa bibliothèque sont devenus tout à fait insuffisants. Un nouveau bâtiment est à l'heure actuelle en voie d'achèvement. Madeleine Jullien et Véronique Chabbert présentent l'origine du projet, son financement, le choix de l'architecte, et les principes qui ont guidé sa conception et son organisation. Elles soulignent l'accent mis sur la formation à l'information, l'accueil, la signalétique, et la séparation des supports.

The university of Paris 8 has been knowing since 1980 a very rapid growth, the premises are now very insufficient. A new building is at the moment in the process of being finished. Madeleine Jullien and Véronique Chabbert present the origin of the project, its financing, the choice of the architect Pierre Riboulet, and the principles which have guided its conception and organization. They underline the stress put on the training to information, the reception of the public, the signposting and the separation of the different media.

Die Universität Paris 8 hat seit 1980 einen sehr raschen Zuwachs erlitten, und die Innenräume der Bibliothek sind deshalb ganz ungenügend geworden. Ein neues Gebäude wird heute fast fertiggebracht. In einem dem BBF gewährten Interview stellen Madeleine Jullien und Véronique Chabbert die Herkunft des Vorhabens vor sowie dessen Finanzierung, die Auswahl des Architekten und die Grundsätze, die dessen Entwurf und Gliederung geführt haben. Insbesondere bestehen sie darauf, daß die Ausbildung zur Information, der Empfang und die Signalanlage mit Sorgfalt gepflegt wurden, ohne die Trennung der verschiedenen Datenträger zu vergessen.

BBF. L’Université de Paris 8 a entrepris la construction d’une grande bibliothèque, pouvez-vous nous en rappeler la genèse ?

Madeleine Jullien et Véronique Chabbert. L’université de Paris 8 a connu, peut-être plus encore que d’autres universités, une croissance très rapide. Elle accueille aujourd’hui 2 7 000 étudiants et compte 1 700 enseignants et chargés de cours.

Depuis le déménagement de l’université de Vincennes à Saint-Denis en 1980, les locaux de la bibliothèque universitaire sont notoirement insuffisants, avec seulement 364 places de lecture que se disputent chaque jour plus de 2 000 étudiants. La place est donc dramatiquement insuffisante, pour les lecteurs – 0,12 m2 par étudiant – comme pour les documents.

Les étudiants sont les uns sur les autres, et travaillent dans des conditions de fortune. Les enseignants n’ont absolument pas la possibilité de fréquenter une telle bibliothèque, qui ne leur ménage aucune zone de calme.

Les collections sont majoritairement en magasin (250 000 volumes) et ce sont seulement 25 000 volumes et 410 titres de périodiques qui sont en libre accès.

Dès 1984, nous avions fait un projet d’extension de l’actuelle bibliothèque, mais qui fut sans suite. En 1989, la dynamique a été relancée, grâce à la ferme conviction de la présidente de l’université. Un colloque sur l’extension de l’université, organisé en décembre 1989, nous avait permis d’exposer nos projets.

Dès cette époque, la bibliothèque participait au groupe de travail organisé par la présidence et, parallèlement, des groupes de travail internes à la bibliothèque (organisation des collections – livres, périodiques, documents audiovisuels –, organisation de l’accueil et services internes) réfléchissaient aux missions d’une nouvelle bibliothèque universitaire et à son organisation.

Enfin, en janvier 1991, le projet était approuvé par le conseil d’administration de l’université.

BBF. Le financement et la concetion de cette bibliothèque ne mettent pas en jeu seulement l’université et les administrations de tutelle. Vous avez d’autres soutiens et d’autres partenaires…

M . J. et V. C. Oui et le partenariat avec les collectivités locales est un des éléments essentiels de ce projet. Sur un financement global de 160 M F, l’État apporte 100 M F, le Conseil général de la Seine-Saint-Denis 60 M F. C’est dire qu’a été présent, dès le début, le souci d’intégration de l’université et de sa bibliothèque dans la ville. La bibliothèque s’étendra en partie au-dessus d’une des grandes artères de communication de Saint-Denis, et la salle de lecture, qui enjambera l’avenue Stalingrad, devrait être une forme d’appel ou d’écho de la bibliothèque à la ville. La bibliothèque ne sera pas ouverte aux seuls membres de la communauté universitaire, mais aussi à la population intéressée, que nous nous sommes efforcés de déterminer et avec qui ont été noués des premiers contacts : les enseignants du primaire et du secondaire, les élèves des classes préparatoires, les industriels et les entreprises locales, qui auront accès à la salle de références.

Ces personnes acquitteront un droit d’accès si elles veulent emprunter des documents, puisque les étudiants payent eux-mêmes un droit de bibliothèque, et les services spécialisés, bien sûr, seront payants. Mais, pour l’instant, nous ne prévoyons pas de contrôle d’accès aux salles de lecture. Celui-ci sera libre et gratuit. L’ expérience montrera si nous pouvons maintenir de telles dispositions.

BBF. Vous avez choisi le projet de Pierre Riboulet. Qu’est-ce qui vous a séduit dans son architecture ?

M . J. Pour moi, le choix n’a pas été difficile. L’élégance et la qualité esthétique du projet étaient manifestes. De plus, c’était le projet qui correspondait le mieux à nos attentes.

Le fait, par exemple, que tout soit articulé autour de l’accueil. La mobilité possible des espaces, la subtilité et la finesse de leur agencement étaient aussi une qualité majeure...

Tout tourne autour du pôle central de l’accueil et, en même temps, les espaces où sont répartis les disciplines sont à taille humaine. Rien n’est gigantesque, mais rien n’est non plus confiné...

BBF. Quels ont été les principes qui vous ont guidés ?

M . J. et V. C. Notre expérience nous a conduit à faire une analyse critique des conceptions qui avaient longtemps prévalu en bibliothèques universitaires, mais aussi à être circonspects face à certains choix actuels.

Prenons quelques exemples. Nous avons refusé la classique distinction, en vigueur depuis les fameuses Instructions de 1962 1, entre le niveau étudiant de premier cycle et début du deuxième cycle et le niveau recherche (fin du deuxième cycle et troisième cycle, enseignants et chercheurs).

Mais nous avons également estimé quelque peu démagogique, en tout cas, erroné, de confondre toutes les missions et tous les publics. Dans la bibliothèque, une salle particulière, qui offrira 40 places, est réservée aux enseignants. Ils y auront accès avec une carte qui leur sera propre. Cette salle sera l’un des rares lieux où les enseignants, souvent très isolés dans leur discipline respective, pourront se rencontrer, échanger. Les enseignants auront à proximité tous les instruments de travail nécessaires : l’espace réservé aux périodiques jouxte leur salle, ainsi que la salle de références dans laquelle seront offerts un accueil spécialisé, le prêt entre bibliothèques et l’accès aux bases de données, aux C D-Rom, à Internet, etc.

La bibliothèque et l’université de Paris 8 ont aussi de longue date mis l’accent sur la formation à l’information. Un groupe de réflexion existe à l’université sur ce sujet depuis 1982. Les enseignants ont reçu des formations à la documentation depuis longtemps. Ils ont eux-mêmes formé des générations d’étudiants. Les résultats positifs de cette formation sur les cursus des étudiants ont été démontrés par de nombreuses évaluations et études 2. Une UV documentation a été mise en place dès 1984. Ceci nous a conduit à particulièrement réfléchir à l’accueil dans le nouveau bâtiment.

Celui-ci sera à trois niveaux :

– un accueil général d’information et d’orientation dès l’entrée de la bibliothèque ;

– quatre pôles secondaires d’accueil, spécialisés par discipline ou regroupement de disciplines dans les salles de lecture ;

– un accueil encore plus spécialisé dans la salle de références, qui pourra initier les étudiants à des recherches plus complexes ou aider les enseignants-chercheurs dans leurs propres recherches.

C’est aussi en ce sens que nous avons prévu une salle de cours, qui permettra aux enseignants d’enseigner la documentation aux étudiants. Mais nous n’avons pas voulu prévoir de salle de travail en groupes pour les étudiants. La bibliothèque, c’est aussi le calme et le travail individuel...

L’accent mis sur la signalétique participe de la même démarche, privilégiant l’accueil. Nous avons voulu y être particulièrement attentifs. Nous avons fait appel à un consultant, spécialiste de ces questions. Celui-ci a, avant de faire ses propositions, cherché à déterminer quels seraient les flux et les circuits des lecteurs. Il a défini plusieurs types d’usagers de la bibliothèque : les étudiants, les étudiants handicapés, les enseignants et les étudiants de troisième cycle, les visiteurs institutionnels (incluant les visiteurs, les livreurs et fournisseurs, etc.), le personnel. Il a défini les besoins d’orientation de chacun à partir de l’entrée et a ainsi prévu des parcours-types. Les circuits privilégient les parcours qui partent ou ramènent au centre, ceci afin de proposer la clarté la plus grande aux utilisateurs.

La signalétique sera à trois niveaux :

– une information-orientation dans le hall d’accueil et à l’entrée de chaque espace. Le lecteur sera orienté par de grandes bannières en toile de spi (c’est résistant et peu coûteux...), de couleur différente selon les disciplines ;

– une information sera offerte sur chaque travée, en indiquera le contenu et orientera les lecteurs vers l’implantation des disciplines connexes ;

– au troisième niveau, les cotes seront signalées non sur les étagères mais sur les serre-livres.

Parmi les conceptions « modernistes » que nous avons refusées, figure celle qui conçoit le multimédia de la médiathèque comme une coprésence des supports autour d’un même sujet. Nous avons estimé plus sage et correspondant davantage aux besoins de notre public de séparer les supports : il y aura un espace pour les périodiques, une salle pour l’audiovisuel, etc.

Nous n’avons pas voulu non plus mettre tous les documents en libre accès. Nous avons prévu des magasins assez importants. Nous avons choisi un système de transitique, qui assurera la rapidité des communications. Mais nous prévoyons 150 000 documents en accès libre, qui, comparés aux 25 000 actuels, augmenteront sensiblement l’offre... (nos acquisitions annuelles sont d’environ 1 5 000 documents).

BBF. Pouvez-vous préciser l’organisation des espaces ?

M . J. et V. C. Comme nous l’avons expliqué précédemment, les espaces d’accueil sont un des points importants du programme autour duquel s’articulent les espaces de consultation.

Les Périodiques sont situés au centre du bâtiment (1 000 titres, année en cours en libre accès pour tous, collections reliées en salle ; magasins accessibles aux enseignants et étudiants de 3e cycle) .

Les ouvrages. A partir des propositions du groupe de travail, une répartition en 6 pôles d’inégale importance a été proposée et adaptée aux espaces dessinés par l’architecte.

1. Philosophie, religions, histoire des sciences, mathématiques, informatique (15 000 ouvrages ; 125 places de lecture) ;

2. Linguistique, psychologie, biologie, sociologie, ethnologie, sciences de l’éducation, communication (45 000 ouvrages ; 250 places de lecture) ;

3. Sciences politiques, histoire, économie, géographie, urbanisme ( 35 000 ouvrages, 250 places de lecture) ;

4. Droit (11 500 ouvrages ; 100 places de lecture). Le droit devait se situer dans l’espace sciences politiques et économiques, mais a dû être déplacé à côté des périodiques pour une organisation plus rationnelle du bâtiment ;

5. Arts (15 500 ouvrages ; 155 places de lecture). Cet espace jouxte l’espace de consultation des documents audiovisuels ;

6. Langues et littératures (35 000 ouvrages ; 210 places de lecture).

Les ouvrages de référence (dictionnaires, encyclopédies générales) seront répartis dans tout le bâtiment et dans la salle de références.

BBF. Vous avez, dans divers domaines, fait appel à des consultants. Quel bilan faites-vous de cette collaboration ?

M . J. et V. C. Malgré notre méfiance initiale, nous sommes actuellement des partisans convaincus de ce type de collaboration. Les compétences que requiert la construction d’une bibliothèque de cette taille sont gigantesques. Il est indispensable dans certains domaines de s’entourer de spécialistes, qui sachent décaler un peu notre vision des choses, nous apporter un autre regard. Nous avons eu recours à quatre consultants.

Outre le consultant signalétique déjà évoqué, nous avons travaillé avec un consultant en informatique, puisque, pour couronner le tout, nous devrons, en même temps que le déménagement, changer de système informatique... Nous faisons également appel à un consultant pour le choix du mobilier (en cours) et pour l’étude d’implantation du matériel audiovisuel (à venir).

BBF. Quel est votre échéancier actuel ?

M . J. et V. C. Le gros œuvre a été rendu à la fin du mois de juin. La livraison du bâtiment est prévue pour juin 1997. Nous pensons donc déménager pendant l’été 1997 et souhaitons ouvrir pour la rentrée universitaire 1997. Notre point noir, ce sont les emplois : 63 personnes travaillent actuellement à la bibliothèque. Le minimum dont nous avons besoin dans le nouveau bâtiment est de 86 personnes, ceci sans compter les moniteurs étudiants nécessaires au rangement des ouvrages. Construire un tel bâtiment est exaltant, certes, mais aussi à hauts risques : on nage dans les incertitudes, notamment en ce qui concerne les budgets et les effectifs, c’est très difficile...

BBF. Quand on visite le chantier, on est pétri d’admiration pour l’architecte et quand on vous écoute, on éprouve beaucoup d’admiration pour vous. Mais vous ne voulez pas dire que la nouvelle bibliothèque de Paris 8 sera modèle...

M. J. Non. A mon avis, il n’existe pas de modèle... C’est à chaque université de définir la bibliothèque dont elle a besoin, dans une collaboration entre bibliothécaires, enseignants, administration. Chaque université présente des particularités, fait des choix en matière d’enseignement, qui ne peuvent que conduire à des spécificités de l’offre en bibliothèque.

Paris 8, par exemple, est très pluridisciplinaire, connue pour développer très tôt, dès le DEUG, des enseignements assez spécialisés, assez pointus. L’organisation de la future bibliothèque en six pôles pluridisciplinaires va tenter de répondre à cette spécificité de l’enseignement à Paris 8. Nous avons regroupé des disciplines connexes, en effectuant un savant mélange de la CDU et de l’organisation des disciplines dans l’université, elle-même très évolutive. Nous avons essayé de nous adapter au mieux à l’enseignement tel qu’il est ici conçu, tout en imposant une forme de pérennité que représente l’idée même de bibliothèque.

Mais modèle, non, nous n’avons pas l’âme de modèle. Et puis, nous sommes encore au milieu du gué. Beaucoup de soucis et d’inquiétudes nous attendent encore avant l’ouverture.

Juin 1996

Illustration
Répartition des mètres linéaires en libre accès

  1. (retour)↑  Circulaire du 12 février 1962 concernant l’organisation des bibliothèques universitaire s .Cf. Bulletin des Bibliothèques de France, n ° 4, 1962, p. 224-225.
  2. (retour)↑  Voir notamment les travaux dirigés par Alain COULON, L’évaluation des enseignements de méthodologie documentaire de Paris VIII, Laboratoire d’ethnométhodologie, Université de Paris VIII, 1993.