La transmission électronique du document

Annie Le Saux

Colloques, congrès, journées d’étude se succèdent et nous entraînent dans le tourbillon des réseaux, d’Internet et des autoroutes de l’information 1. Ces projections dans un futur électronique annoncé comme plus ou moins proche témoignent à qui mieux mieux, par leur multiplicité et par l’ardent désir de chacun d’être « branché » ou, en l’occurrence connecté, de la manne que les masses d’informations déferlant depuis tous les coins du monde et vers tous les coins du monde vont apporter.

Organisée par la Bibliothèque publique d’information, le British Council et la British Library, la conférence sur la transmission électronique du document 2, le lundi 7 novembre, a réuni de nombreux participants autour d’intervenants français et anglais, responsables de la British Library, de la Bibliothèque nationale de France, du British Library Document Supply Centre, tous, de toute façon, concernés au premier chef par les bouleversements à venir.

Parmi les thèmes récurrents, note Michel Melot, en conclusion de cette journée, ont émergé les évolutions technologiques, les définitions de contenu et les problèmes juridiques, ces trois points devant entraîner des changements dans les façons de travailler et dans celles de penser.

Les évolutions technologiques

Les problèmes techniques, même s’ils semblent les mieux résolus, ne doivent pas occulter que les changements se succèdent à ce point les uns aux autres qu’ils demandent des réajustements constants et le développement parallèle de technologies associées. En outre, si l’on ne peut que se féliciter du progrès qu’offre la possibilité pour un nombre démesuré de personnes d’accéder en même temps aux mêmes informations, il ne faut pas oublier que cette même possibilité risque de créer des embouteillages et de supprimer, du même coup, l’efficacité recherchée.

Il ne s’agit donc pas de s’engager dans ces nouveaux moyens de transmission des données uniquement par effet de mode, mais bien parce qu’ils sont plus efficaces, plus accessibles, et, pour l’instant, d’un coût moindre. Une bonne partie des coûts est cependant cachée, et la gratuité de la majorité des services n’est pas le moindre des attraits mis en avant pour convaincre de la nécessité de faire partie des happy few – du moins en France, car, le nombre d’abonnés croît sans cesse aux Etats-Unis, et même nous dit-on pour souligner encore davantage notre retard, dans les ex-pays de l’Est –, mais en sera-t-il toujours ainsi ? Les investissements colossaux ne pourront pas ne pas avoir, par la suite, de répercussions sur les utilisateurs. Et une fois bien accroché, qui donc ira se déconnecter ?

Les gouvernements participent à cette course vers un avenir électronique, dépensant des sommes énormes, tout en consacrant des budgets importants à la construction de nouveaux bâtiments – la Bibliothèque nationale de France et la British Library à St Pancras en sont des exemples –, ce qui, souligne Brian Lang, Chief Executive de la British Library, peut sembler paradoxal. Quant aux bâtiments du XXIe siècle, ils devront être pensés pour accueillir câblages et technologies du XXIe siècle à côté de salles de lecture classiques permettant la consultation sur place de documents anciens et originaux.

Les gouvernements doivent veiller à ce que l’aspect démocratique de cette diffusion de l’information accessible théoriquement au plus grand nombre – argument avancé aussi par tous les pro-réseaux – ne soit pas négligé au profit des seuls utilisateurs commerciaux. Car les entreprises ont bien vite pris possession de ces nouveaux moyens de transmission, créés au départ pour les besoins de la recherche. Démocratisation de la culture, clame-t-on haut et fort. Encore faut-il pouvoir investir des sommes colossales et les pays dont les ressources économiques ne permettent pas de suivre ce courant ne risquent-ils pas, au contraire, d’être encore plus coupés des nantis ? L’information, outil de compétitivité, deviendrait ainsi outil d’exclusion sociale.

L’information véhiculée

Quelle forme prennent les données qui circulent dans les autoroutes de l’information ? On a du mal à imaginer un produit qui ne soit pas à l’image de ce que l’on connaît actuellement. Outre leur fourniture sous différents types de médias, c’est-à-dire du texte, des images, du son et, sous peu, des images animées, on sait que les textes n’auront pas la stabilité de l’imprimé ; leur malléabilité et leur flexibilité rendront cette offre atomisée, fluide et éphémère, il n’y aura plus de publication formelle des textes. Du fait de leur consultation sur écran essentiellement, les textes concernés sont courts, avant tout scientifiques. On voit mal en effet des ouvrages du style des romans russes en plusieurs volumes figurer sur les réseaux pour consultation. En effet, selon les spécialités, la notion de rapidité est plus ou moins importante.

L’information brute ne suffit pas, donc le service ajouté va faire la valeur de l’information et sera bien sûr tarifé. Il va falloir transformer le produit, le maîtriser, l’analyser, le gérer et non pas seulement – ce que l’on sait déjà faire – le transférer à grande vitesse d’un point à un autre.

Cette information mouvante et instable ne deviendra-t-elle pas fugitive ? Comment assurer sa pérennité sur les réseaux ? La gestion des flux peut être maîtrisée sans que celle des stocks le soit. Le problème, semble-t-il, est inversé : alors qu’il y a peu, on se préoccupait de savoir diffuser les collections, dorénavant, on s’inquiète de savoir préserver les informations.

L’utilisateur, l’éditeur et le bibliothécaire

A qui s’adressent ces informations ? Difficile là encore de définir le lecteur selon les normes classiques. Plus proche de l’auteur, avec qui il peut dialoguer en direct et quel que soit le lieu où l’un et l’autre se trouvent, c’est quelqu’un pour qui la rapidité sera un facteur essentiel, donc a priori plus un scientifique qu’un historien ou un littéraire, mais plus aussi un non-spécialiste qu’un chercheur, qui n’a pas attendu l’ère électronique pour avoir son propre réseau individuel d’informations. Cet utilisateur final semble être le bénéficiaire de ces nouvelles approches.

En revanche souligne Jean Favier, président de la Bibliothèque nationale de France, deux professions sentent leur existence menacée par ces bouleversements : celle des éditeurs et celle des bibliothécaires. Les équilibres étaient déjà chancelants entre fournisseurs de documents et éditeurs, opposés par des problèmes juridiques. Loin d’être réglés, faute d’interlocuteurs capables de gérer les droits, faute de savoir à qui et comment payer, ces problèmes sont aggravés par des habitudes juridiques différentes selon les pays.

David Bradbury, directeur du British Library Document Supply Centre, reste cependant persuadé qu’éditeurs et fournisseurs de documents ont tout intérêt à travailler ensemble et à rechercher un compromis. Tous œuvrent à la diffusion de la connaissance, aidant les auteurs, les uns en éditant leurs œuvres, les autres en les achetant pour les faire lire, tous dépendant les uns des autres. Leurs intérêts bien sûr divergent, ne serait-ce que par le fait que les maisons d’édition sont des entreprises privées alors que les bibliothèques sont des organismes publics. La transmission électronique des documents électroniques est loin d’apaiser ces querelles. Bien sûr les publications au sens classique du terme sont en danger, et les éditeurs traditionnels risquent d’être court-circuités par les nouveaux utilisateurs-auteurs-éditeurs. A moins de repenser le rôle de l’éditeur en tant qu’acteur de contrôle de la qualité des documents électroniques. Encore faut-il que ceux-ci, conscients cependant des risques graves qui pèsent sur eux, acceptent d’envisager des solutions avec leurs partenaires et ne les prennent pas pour cibles.

Les bibliothèques françaises, Hervé Le Crosnier en est convaincu, doivent occuper une place centrale dans le développement des réseaux électroniques, en donnant accès à tous aux ressources bibliographiques et catalographiques françaises. De même que dans leurs attributions actuelles, les bibliothécaires du futur auront un rôle à jouer dans la sélection des documents et dans la constitution des collections. Pour un bon fonctionnement de la fourniture électronique des documents, le réseau de compétences des bibliothécaires sera primordial. Faire que l’utilisateur final sache rechercher l’information disponible fera aussi partie du rôle pédagogique du bibliothécaire, formateur et médiateur.

L’ancienne hiérarchie des bibliothèques va être modifiée, prédit David Baker de la bibliothèque de l’University of East Anglia : émergeront non pas celles qui ont le meilleur fonds, mais bien celles qui offriront le meilleur accès à n’importe quel document, quel que soit le lieu et à n’importe quel moment.

  1. (retour)↑  Réseau physique fait de tubes véhiculant d’une façon interactive un nombre colossal de données multimédias (texte, image, son et bientôt image animée) quels que soient le lieu et la distance.
  2. (retour)↑  Les Actes de cette journée seront publiés par la Bibliothèque publique d’information.