Le management public

par Thierry Giappiconi

Viriato Manuel Santo

Pierre-Éric Verrier

Paris: Presses universitaires de France, 1993. - 128 p. ; 18 cm. - (Que sais-je ? ; n° 2724)
ISBN 2-13-045164-0 : 40 F

Le terme de « management » s'est progressivement imposé en France. Il recouvre, si l'on en croit le petit Robert, « l'ensemble des connaissances concemant l'organisation et la gestion d'une entreprise ». Si cet anglicisme a pris place dans notre langue, c'est sans doute parce qu'il ne possède vraiment pas d'équivalent français. Il dépasse en effet la gestion proprement dite pour comprendre l'échelon stratégique de la conduite d'une affaire commerciale.

Un domaine nouveau de la connaissance

L'application du modèle de l'entreprise à la gestion des services publics fait aujourd'hui partie de notre univers quotidien. La notion de « management public » n'est-elle que le reflet de ce que Jacques Le Goff appelle « la dérive de l'idéologie managériale » ou est elle, comme le pensent les auteurs de ce petit volume, « un domaine nouveau de la connaissance » qui « cherche encore ses marques » ? Ce « Que sais-je ? » vient à point pour nous permettre d'y voir clair sur cette question.

Les auteurs sont conscients qu'ils doivent distinguer leur discipline du phénomène de mode. Ils n'hésitent donc pas d'emblée à employer des mots très durs pour « la simple littérature d'aéroports pour cadres pressés », cette « philosophie de fonds d'assiette » répandue par « trop de livres de recettes ». Ils relèvent que le « management public » est devenu « un véritable marché », livré aux « carnassiers du système », où il devient « de plus en plus difficile d'évaluer le sérieux et la maturation des concepts utilisés ».

Refusant l'injonction du slogan « Il faut gérer les services publics comme l'on gère une entreprise », ils se proposent d'interpréter l'étude spécifique du management dans les organisations publiques comme « un plaidoyer en faveur d'un simple effort de gestion des services publics ».

Un tel point de départ est de nature à retenir l'attention d'un professionnel des bibliothèques, confronté aux fatras du discours moderniste et de ses traductions administratives, mais conscient des limites de ses méthodes traditionnelles de gestion.

Une méthode d'exposé claire et rigoureuse, l'emploi d'un langage précis et sans équivoque, le refus à peu près systématique de tout jargon soutiennent tout au long du livre l'intérêt de la lecture. L'intérêt de cette synthèse est d'exposer simplement ce que sont les outils empruntés à la gestion d'entreprise et d'envisager les conditions de leur mise en œuvre dans le contexte d'un service public.

Les outils de finalisation (définition d'objectifs à court et moyen terme) intéresseront plus d'un bibliothécaire soucieux de clarifier les choix et de planifier ses projets de développement. Notons cependant, qu'en ce qui regarde plus précisément « la direction participative par objectif », les auteurs constatent « qu'en France, il semble qu'aucune expérience significative et durable n'ait jamais réussie », car « une telle démarche paraît en effet peu compatible avec la rationalité politique ». Le chapitre sur les outils de contrôle est un excellent résumé des problèmes soulevés par l'analyse des coûts. La présentation des « outils d'animation » ne cache guère que, quel que soit son intérêt, ce domaine est le terrain privilégié du faux semblant, « trop souvent favorisé par la rencontre d'une offre commerciale pressante (celle des cabinets de conseil) et d'un vide des dirigeants dans la définition des objectifs ». Les outils de gestion mis en œuvre isolément et non plus articulés au sein d'une démarche générale sont ainsi réduits à l'état de gadget. Ils servent parfois, en outre, de prétextes et de masques aux corporatismes.

Les fonctions

Les méthodes du management proprement dit sont présentées par « fonction ». On peut parfois rester sceptique sur leur adéquation au service public tout particulièrement en ce qui concerne les fonctions « personnel » et « marketing ».

L'apport de la fonction marketing est-elle « parfaitement compatible avec la conception la plus classique du service public », comme le pensent les auteurs ? Certes, il paraît souhaitable de mieux connaître et comprendre les aspirations du public. Il est cependant contestable de ne sembler voir en l'usager, soit qu'un client, soit un citoyen « sujet de pouvoir ». Dans une société démocratique, un citoyen est, rappelons-le, en théorie, bien plus qu'un « sujet », et le service public bien plus qu'un prestataire de service. C'est son statut d'institution d'intérêt général qui distingue, par exemple, une bibliothèque d'une grande surface commerciale. Il semble que les auteurs hésitent entre leur tentation de systématiser l'application des démarches « marketing », et leur conscience que celle-ci ne peut se « substituer aux autorités constitutionnellement compétentes ». De façon générale, il ressort que certains aspects de la démarche peuvent avoir, en fait, en administration publique, une fonction d'analyse plus qu'une fonction opérationnelle.

Management des politiques publiques

Tout ce qui touche à l'administration publique touche bien évidemment au domaine politique. Tel pourrait bien être là l'intérêt du management public et son talon d'Achille. La deuxième partie, qui traite du management des politiques publiques, fait ainsi du « management public » bien entendu une démarche de mise en lumière de l'effet des choix politiques. Le chapitre sur l'évaluation de ce point de vue est particulièrement intéressant. Cependant les auteurs perçoivent bien que « cette attitude de " géomètre " est difficile à imposer à un compétiteur politique immergé dans l'ambiguïté des symboles et des effets d'affichage et pour qui la modification de l'environnement commence par le renversement en sa faveur des groupes sociaux cibles » ; de même « il n'est pas dans l'intérêt d'un responsable politique d'afficher clairement les objectifs assignés à une politique publique. Retenir un objectif plutôt qu'un autre suppose implicitement qu'un arbitrage a été opéré en ce qui est considéré comme une priorité et ce qui ne l'est pas. A l'évidence, certaines clientèles pourraient être déçues de voir ainsi leur demandes reléguées au rang des non-priorités. L'absence d'explicitations est dans certaines circonstances un outil puissant de pouvoir ».

Mais ce « travers » du management public peut être infiniment séduisant pour un bibliothécaire. Il peut en effet le conduire à penser que la définition d'une démarche rigoureuse, dégageant, d'une part, le champs de la responsabilité politique des élus ou des responsabilités de tutelle, et, d'autre part, sa responsabilité intellectuelle, administrative et technique, relève du devoir du fonctionnaire et du citoyen. Ce n'est pas là, il est vrai, le chemin de la facilité ! Les pistes et les questions ouvertes par Viriato Manuel Santo et Pierre-Eric Verrier remplissent, dans l'esprit et les limites de la collection, parfaitement leur objet : servir, pour ce qui concerne notre profession, de point de départ, d'aide-mémoire et d'orientation bibliographique à une réflexion sur l'adaptation du management à la bibliothéconomie.