Fonds sous abri

préservation et conservation des documents de bibliothèques en Europe

Alexander Wilson

Étude des politiques et pratiques en vigueur à l'heure actuelle dans les bibliothèques des pays de la Communauté européenne. Les questions abordées concernent la désacidification en masse, le microfilmage partagé, l'utilisation des disques optiques, le papier « permanent », les campagnes de sensibilisation, sans oublier l'aspect enseignement et formation. Malgré quelques similitudes frappantes, le sujet est diversement traité dans chaque pays en raison des systèmes variés de bibliothèques, du stade de leur développement et de la répartition des fonds de livres anciens. Politiques et ressources sont inadaptées partout ; le lien vital entre la conservation et la transmission des documents n'est pas assuré, que ce soit par les politiciens, les savants ou les responsables professionnels.

Study of current policy and practice in the libraries of the European community countries, giving North American experience for comparison. Topics include mass deacidification, cooperative microfilming, use of optical disks, « permanent paper », awareness campaigns and the education and training aspects. Striking similarities are noted, as well as differences of approach due to the nature of national library systems, their state of development and the distribution of early book collections. Policies and resources are everywhere inadequate. The vital link between preservation and access is not realised by politicians, scholars or professional administrators.

Dans cette étude de la politique menée dans le domaine de la conservation et de la préservation, il s'agissait d'examiner les pratiques adoptées par les États membres, afin de déterminer les besoins et de proposer des solutions en vue d'améliorer la situation actuelle, spécialement grâce aux nouvelles technologies et à la coopération, tout en la comparant à l'expérience américaine.

Le rapport aborde en premier lieu la situation, au niveau international, de la préservation. Il mentionne également les causes des catastrophes naturelles et de la détérioration des documents, souligne l'importance des menaces qui pèsent sur l'héritage culturel, ainsi que sur la préservation de l'information dans les publications récentes. Il fait également le point sur les nouvelles technologies. La seconde partie du rapport détaille l'enquête de l'IFLA/ICA (2), patronnée par l'UNESCO, en s'appuyant surtout sur des rapports et des réponses à des enquêtes personnelles. Des entrevues eurent lieu dans des établissements de Belgique, de France, d'Italie, du Royaume-Uni et de la République fédérale d'Allemagne, ainsi que dans quelques institutions des États-Unis et du Canada. Il en est ressorti une très nette différence entre l'intérêt montré par les responsables de bibliothèques et l'indifférence et l'ignorance de la plupart des professionnels, des gouvernements, des usagers de bibliothèque et du public en général.

Les recommandations adressées à la Commission sont les suivantes : soutenir les efforts de l'UNESCO et de l'IFLA et, à l'échelon national, régional et local, l'établissement d'une politique et d'une planification de la préservation. La Commission doit aider à mettre en place des mécanismes nationaux de coordination et faciliter la coopération supranationale : en microfilmant systématiquement les documents, en créant un catalogue interactif de microformes mères et en favorisant la recherche, sur la désacidification en masse et l'utilisation de vidéodisques par exemple. Il faut également étudier la possibilité de créer des centres régionaux de traitement, encourager les éditeurs et fabricants de papier à utiliser du papier « permanent » et examiner l'intérêt que présenterait l'élaboration d'une norme ISO. Éducation, formation et prise de conscience sont les principales exigences pour élever les possibilités de conservation et de préservation bien au-dessus du niveau actuel.

Sont signalées d'autres études sur les besoins en éducation et formation des « conservators * » et des bibliothécaires et sur la préservation des documents autres que le livre et des conseils sont donnés sur des projets pilotes en vue d'établir un répertoire de microformes mères et sur l'utilisation de médias optiques.

État d'urgence

Lorsque l'on examine la situation actuelle, on est d'abord frappé par l'ampleur du problème due à toutes sortes de facteurs : un environnement inadapté, une utilisation intensive des documents, un entretien insuffisant, des connaissances et des moyens ne permettant pas d'assurer la conservation et, enfin, les catastrophes, particulièrement les inondations, qui ont frappé les bibliothèques. Plus encore que les méthodes modernes de fabrication des livres, c'est la dégradation du papier - intervenue depuis 1850 environ et due à la combinaison de l'acidité inhérente au processus de fabrication et de la pollution atmosphérique - qui est en cause. Les bibliothèques européennes vivent encore actuellement une période de grâce, mais risquent d'être confrontées, à leur tour, à la catastrophe qui frappe actuellement l'Amérique du Nord : des livres dont le papier est devenu cassant. Tous les types de documents sont touchés, et les autres professions ayant un rapport avec la conservation partagent nos difficultés et manquent cruellement de moyens pour y faire face.

Plan d'adion

La clé du problème est dans la sélection, et la tâche la plus importante est de préserver massivement le contenu de l'information. On peut espérer que certaines publications se feront sur un papier résistant mieux aux attaques du temps, afin de stopper ce fléau. Il faut surtout soutenir l'effort de préservation, pour permettre un meilleur accès à l'information. Les conditions préalables à tout programme d'action sont les suivantes :
- bien comprendre les faits ;
- mettre en place une organisation et une cellule responsable ;
- soutenir l'effort des éditeurs en rassemblant des éditions complètes sous forme de copies sur microfiches, provenant de différentes bibliothèques ;
- coopérer au contrôle bibliographique des microformes mères ;
- aider les pays les moins développés ;
- organiser des campagnes de sensibilisation.

Il y a interdépendance des décisions entre conservation, d'une part et procédés de substitution ou traitements à grande échelle, d'autre part. Le diagramme du rapport analyse le meilleur support en fonction de la fréquence d'utilisation et du volume des documents.

La solution consistant à réimprimer en tirages limités ou à faire des copies individuelles soulève des problèmes de droit d'auteur, qu'il convient de régler raisonnablement. Il est d'autant plus important d'adopter des normes communes. La microforme est encore le support le plus fiable et le plus économique pour créer des copies de substitution. Le rapport décrit d'une façon détaillée les programmes de microfilmage, d'après l'expérience acquise aux États-Unis et rend compte de l'usage expérimental de supports optiques dans les bibliothèques et les archives. Il s'ensuit une présentation des évolutions dans le traitement du papier ; désacidification en masse, consolidation et utilisation de papier « permanent », recherche d'une norme ISO. Après un dernier paragraphe sur les programmes d'éducation, de formation et de sensibilisation, la première partie du rapport conclut sur l'urgence et la nécessité pour chaque pays de se mettre d'accord sur une politique de conservation des documents.

Situation sur le terrain

La seconde partie dresse un bilan de la situation actuelle dans un certain nombre de pays de la Communauté européenne, précédé d'une note sur les résultats de l'enquête UNESCO/IFLA/ICA; ceux-ci ressemblent beaucoup aux conclusions de ce rapport, mais ils insistent davantage sur les pays en développement.

Certaines tendances communes ont été observées dans les principaux pays de la Communauté européenne. La prise de conscience s'étend rapidement, bien qu'elle ne se traduise pas encore par des actes décisifs. Les principales études sont menées en France, en Allemagne fédérale et au Royaume-Uni. Une différence notable apparaît entre les attitudes des bibliothécaires et des « conservators ». Les bibliothécaires sont plus soucieux de préserver le contenu de l'information, par souci de réalisme et sens des priorités. Les « conser-vators », quant à eux, sont évidemment plus préoccupés de favoriser la conservation des documents originaux. C'est ce dernier point de vue qui prédomine largement en Italie.

L'Europe a maintenant pris conscience de la menace que représente l'acidité du papier. La France est à la pointe dans les technologies de désacidification en masse, le Royaume-Uni dans les interventions d'urgence lors de sinistres. L'Allemagne fédérale et le Royaume-Uni militent activement en faveur du papier « permanent ». La formation des bibliothécaires en France et au Royaume-Uni fait une part de plus en plus grande aux techniques de conservation. A noter également une modeste amélioration dans la formation des « conservators », particulièrement en Allemagne fédérale. Le Royaume-Uni, quant à lui, a un bureau national de la conservation (National preservation office).

La Communauté européenne

Les principaux rapports concernent la France, l'Italie, le Royaume-Uni et l'Allemagne fédérale, suivis de courts rapports sur la Belgique, le Danemark, l'Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Portugal.

La France

Plus que tout autre pays de la Communauté européenne, la France a systématiquement considéré que son héritage culturel était contenu dans les bibliothèques (c'est-à-dire, d'une façon quelque peu arbitraire, les livres antérieurs à 1811, plus les manuscrits et les documents spéciaux) ; elle a systématiquement répertorié et dénombré les collections des bibliothèques, et mis en place l'organisation, les moyens et les techniques nécessaires à leur conservation et leur exploitation au service des chercheurs et du grand public, notamment par la désacidification en masse et les technologies optiques.

Mais les crédits accordés à la conservation et à la préservation sont tout à fait insuffisants. Le fait que la France soit à la traîne dans le domaine de l'automatisation de la gestion des bibliothèques représente un gros inconvénient pour le catalogage en coopération et la compilation d'un répertoire national de microformes mères. Malgré les travaux de diverses commissions, ni les milieux gouvernementaux, ni les médias, ni le public, ni même les bibliothécaires ne semblent concernés par la menace qui pèse sur la préservation de ce patrimoine.

On s'est surtout penché sur le problème des documents anciens et la production de livres français; cet intérêt s'est en quelque sorte manifesté au détriment des mesures pour lutter contre l'acidification qui menace les documents actuels, et au préjudice de la coopération internationale, visant à préserver ce qui a valeur d'héritage au niveau mondial. Le principe est que chaque pays est le premier responsable de la conservation de sa propre production intellectuelle.

Après une description de l'infrastructure des bibliothèques, suit le compte rendu de trois enquêtes qui ont été menées au cours des dix dernières années : celle de la Bibliothèque nationale en 1975/77 (3), celle de la Commission Caillet sur l'état de conservation et de préservation à la Bibliothèque nationale elle-même, en 1979 (4), et celle de la Commission Desgraves, en 1981 (5), sur l'héritage culturel de toutes les bibliothèques de France.

Le rapport Caillet a eu pour conséquence une augmentation annuelle de 10 MF des subventions que le gouvernement accordait à la Bibliothèque nationale pour la préservation du fonds documentaire d'une part, et au Plan de sauvegarde de la BN d'autre part. L'action menée par la BN a été d'envergure: ateliers de conservation et de microfilmage plus nombreux et plus vastes à Paris, création en 1978 d'un centre important à Sablé-sur-Sarthe, pour la reliure, la restauration, le traitement à chaud, la désinfection et la photographie, avec une installation de désacidification directement inspirée du système américain Wei T'o.

Malgré la lenteur du démarrage, cette installation est d'un grand intérêt pour l'Europe. Son objectif est de traiter environ 150 000 volumes par an - bien plus que son homologue de la Bibliothèque nationale du Canada -, pour un prix unitaire maximum de 50 F. Grâce à un rendement de 600 livres par jour ouvrable, les dommages estimés (690 000 volumes) devraient être éliminés d'ici à 1994. D'autres bibliothèques fourniront ensuite un volant régulier de travail, dans la mesure de leurs possibilités. Sablé est maintenant le centre ouest-européen d'application du programme de préservation et de conservation de la Fédération internationale des associations de bibliothèques (IFLA) ; il couvre également l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient. En outre, un centre de conservation et de microfilmage des journaux régionaux s'est installé dans l'ancien couvent des Cordelières à Provins. On a ainsi paré au plus pressé. Les travaux de conservation des documents se poursuivent, avec l'établissement d'une liste de priorités.

Le rapport Desgraves concerne les collections historiques de toutes les catégories de bibliothèques, publiques et privées. Tout en louant les efforts de la BN et de la DLL (Direction du livre et de la lecture) en faveur des bibliothèques municipales, la Commission estime qu'il manque une politique réelle et des structures de coordination et de coopération. Elle conclut que l'état d'urgence de l'héritage documentaire dans toutes les bibliothèques est alarmant. Si une action n'est pas menée le plus rapidement possible, il ne s'agira plus de sauvegarder, mais de reconstituer les fonds documentaires du pays, si tant est que les dommages ne soient pas irréparables.

Les efforts de la BN, bien que porteurs d'espoirs, sont encore insuffisants. Si l'augmentation des fonds alloués à la recherche depuis 1978 et les diverses initiatives de la DLL sont encourageantes, par contre, le manque de crédits destinés à la préservation dans le secteur des universités est regrettable. Fait révélateur, le rapport Desgraves établit une relation entre la préservation et l'amélioration de l'accès aux fonds documentaires. Après avoir fait mention d'un certain manque d'intérêt des bibliothécaires à cet égard, citons l'intervention de Jeanne-Marie Dureau, qui a conseillé au ministère de l'Éducation d'élargir la formation des futurs bibliothécaires en matière de conservation et de préservation. La Commission Desgraves a vivement conseillé une formation à plein temps des restaurateurs.

L'institution la plus importante en matière de recherche est le CRCDG (Centre de recherche sur la conservation des documents graphiques). Le Centre travaille en quelque sorte sur contrat : il peut mener, par exemple, des travaux de recherche en relation avec l'atelier de désacidification en masse de la BN. Le CRCDG semble ainsi plus proche des réalités que son homologue italien. Il organise également des cours de formation et des conférences.

L'Italie

Le vaste héritage littéraire de l'Italie est éparpillé dans une foule de bibliothèques : publiques, religieuses et privées. Un certain nombre des 47 bibliothèques d'État a l'appellation de « Biblioteca nazionale ». Toutes les bibliothèques d'État semblent étroitement contrôlées par leur ministère de tutelle, mais il y a peu de communication entre les bibliothèques elles-mêmes. Les procédures de conservation des bibliothèques sont minutieusement établies par l'ICPL (l'Istituto centrale per la Patologia del libro), institution autonome qui rend compte au ministère. C'est pourquoi, dans la querelle qui oppose bibliothécaires, soucieux du contenu de l'information dans les publications, et « conservators », désireux avant tout de conserver le document original, la balance penche nettement en faveur de ces derniers en Italie.

Les crédits font cruellement défaut, de même que le personnel qualifié formé à la conservation et à la préservation. Il semblerait pourtant que le gouvernement se décide à enquêter sur les besoins globaux en matière de préservation, et que l'on aille dans le sens d'une rationalisation de certaines responsabilités de la Bibliothèque nationale. L'épisode des inondations de Florence, en 1966, encore présent dans tous les esprits, divise les bibliothécaires du monde entier. Il est regrettable de devoir constater que, vingt après, seulement 60 à 70% des travaux de restauration sont achevés. Ce désastre a tout de même eu deux conséquences positives : la création d'un atelier de microfilmage et d'un atelier de conservation employant environ 70 personnes.

Comme nous l'avons déjà dit, l'ICPL tient le rôle principal en matière de politique et de pratiques de conservation. Il a pour tâches :
- d'étudier les procédés de fabrication des livres et les matériaux utilisés, ainsi que les causes physiques, chimiques et biologiques d'altération ;
- de développer les moyens de prévention, surtout pour les bibliothèques de dépôt légal et autres bibliothèques importantes ;
- de procéder à une restauration expérimentale de documents bibliographiques, en accordant une attention toute particulière aux pièces rares ou précieuses ;
- de conseiller et d'informer le personnel scientifique et technique s'occupant de restauration dans les bibliothèques et les administrateurs nationaux ou régionaux de bibliothèques.

L'Institut se maintient à un excellent niveau scientifique et technique, et publie des articles de haut niveau. Il dirige depuis 1977 une École de conservation et de restauration, où des cours réguliers sont donnés aux bibliothécaires, et où ont lieu des séminaires internationaux de haut niveau. L'ICPL donne également des conseils dans le cadre de la création d'installations régionales de conservation, forme du personnel là où il le faut, et offre un service de conseil auprès des bibliothèques.

Il est intéressant de comparer son mode de fonctionnement à celui de son homologue français le CRCDG. Certes, l'ICPL fixe les méthodes de travail des ateliers de conservation des bibliothèques, mais il n'est pas directement responsable de leur gestion, et, contrairement au CRCDG, il ne dépend pas de contrats émanant de bibliothèques ou d'archives. C'est probablement à cause de cela que les bibliothèques d'État italiennes paraissent quelque peu étrangères aux problèmes économiques et budgétaires concrets, et que des choix difficiles s'imposent.

Le Royaume-Uni

La situation du Royaume-Uni présente trois caractéristiques :
- l'anglais étant la langue la plus largement répandue dans le monde, il est difficile de déterminer avec précision l'héritage littéraire britannique ;
- les publications d'origine anglaise sont diffusées dans les bibliothèques du monde entier ;
- le Royaume-Uni est tenu, en tant qu'ancien empire colonial, de préserver ou de remplacer les documents concernant les anciens dominions et les États qui leur ont succédé.

Ces facteurs, ajoutés à la grande richesse en ouvrages de référence de la British library (qui comprend également l'ancienne bibliothèque du British Museum), explique la création, en collaboration anglo-américaine, de bibliographies rétrospectives et de STCs (short title catalogues), avec localisation complète ou partielle des ouvrages, en vue de parvenir à un contrôle bibliographique rétrospectif relativement exhaustif de la production de livres en langue anglaise, et à une technique (le STC exploitable en machine), qui a fait l'admiration des bibliothécaires des autres pays de la Communauté européenne.

La politique britannique se présente comme un compromis entre l'obsession européenne de conserver les originaux et l'attitude américaine qui consiste à remplacer massivement les documents et à agir de concert, comme le montre la création du National preservation office à la British library. Des discussions bilatérales ont lieu avec la BN et les bibliothèques de recherches ouest-allemandes. A l'intérieur du Royaume-Uni, des progrès ont été accomplis dans les deux autres bibliothèques nationales, celles d'Écosse et du pays de Galles ; des plans d'intervention d'urgence ont été élaborés et deux enquêtes, menées par MM. Ratcliffe et Stam, ont fait le point sur la situation britannique en matière de préservation des richesses des bibliothèques. Autre initiative : le projet NEWSPLAN de la British library, pour la création d'un centre d'archives nationales des journaux de province sur microfilms.

F.W. Ratcliffe a fait un bilan de son enquête en 1983 (6). Il s'est efforcé de présenter la situation en matière de politique et de méthodes de préservation, et d'identifier les établissements d'éducation et de formation dans ce domaine. Selon lui, les bibliothèques prennent de plus en plus conscience de la nécessité de préserver leurs richesses, mais rares sont celles qui sont guidées par une véritable politique ; d'ailleurs, seules les plus importantes peuvent se le permettre. Il n'y a même pas un embryon de plan national. La préservation ne figure pas au programme des écoles de bibliothécaires, et les crédits alloués à la formation de relieurs et de « conservators » sont tout à fait insuffisants.

Le rapport présente des propositions dans deux domaines, tout d'abord au niveau de chaque bibliothèque, avec peu ou pas de frais supplémentaires et immédiatement applicables, ensuite, au niveau national, avec la prise de conscience de la double nécessité d'une action coopérative et de priorités en matière de préservation. La British library doit être en première ligne. Le rapport souligne l'importance de la coopération avec les archivistes, le marché du livre, les industries du papier et de l'imprimerie, et la recherche scientifique correspondante. L'introduction de papier non acide et de reliures plus durables aura un effet décisif. Il faut lancer des campagnes de sensibilisation. Cette enquête a été menée de façon interactive, et a même, lors de sa préparation, provoqué des changements bénéfiques.

Pendant le déroulement de l'enquête Ratcliffe, son commanditaire, le département Recherche et Développement de la British library, a invité D.H. Stam, de la New York public library, à donner un aperçu (7) de la situation britannique vue par un Américain. Il a relevé des points communs, mais aussi des différences « ...Rien de comparable, de près ou de loin, aux ravages dus à la dégradation du papier... dans les bibliothèques de recherche américaines », une publicité trop rare au Royaume-Uni, « ...l'indifférence au plus haut niveau » et, chez les bibliothécaires eux-mêmes, « ... un sentiment de désespoir face à un problème insoluble ». Le Royaume-Uni souffre du même manque de moyens que les États-Unis pour conserver des collections aussi riches que diverses.

D.H. Stam souligne la nécessité de trier et de sélectionner, comme le font les archivistes ; il met en garde contre l'obsession de conserver physiquement le livre, note la relation étroite qui existe entre programme de préservation et développement d'un fonds documentaire, les bibliothèques britanniques ayant tendance à s'intéresser surtout à ce dernier aspect. La probabilité d'utilisation future doit être un élément de décision essentiel. Un certain nombre de questions techniques ont été également débattues. Enfin, les conditions préalables d'un plan de préservation au niveau national ont été définies comme suit :
- la prise de conscience du problème, la conduite du mouvement, la coopération, la communication ;
- la création de centres de conservation nationaux et régionaux ;
- une coopération internationale ;
- des crédits et une stratégie budgétaire ;
- l'éducation et la formation.

Le programme britannique de protection contre les sinistres mérite que l'on s'y arrête, car il joue actuellement un rôle phare en Europe. La Bibliothèque nationale d'Ecosse a publié en 1985 un rapport (8), qui s'appuyait sur les réponses à un questionnaire portant notamment sur les sujets suivants :
- les risques potentiels connus : ruptures de canalisations, incendies, actes de malveillance ;
- le mode de construction ;
- l'équipement de protection ;
- les catastrophes passées ( 10 % d'incendies, 33 % d'inondations) ;
- les systèmes d'alarmes anti-effraction et systèmes de protection contre l'inondation et l'incendie ;
- les centres de conservation ou de reliure ;
- la possibilité de se procurer des duplicata de catalogues.

L'essentiel du rapport traite de prévention, assurance, plans d'urgence, services spécialisés disponibles, recommandations pour la construction des bâtiments, et comporte une bibliographie. Soit dit en passant, le lien qui existe entre la préservation et la sécurité des bibliothèques n'a pas été suffisamment mis en valeur. Toutefois, la British library a effectué des travaux dans ce sens et créé en 1987 un Office national de sécurité.

Un autre rapport, dû à I.T. Jenkin (9), a étudié la situation en Angleterre et au pays de Galles. Le premier volume, qui est une enquête sur les méthodes et procédures, a été publié en 1986 ; le second, qui donne les grandes lignes d'un programme d'intervention d'urgence, est paru en 1987. L'analyse des réponses à un questionnaire montre qu'il y a eu 755 cas entre 1975 et 1985, et que la fréquence totale s'est accrue d'environ 55 % entre les deux périodes de cinq ans étudiées. Même si cela est dû en partie à une meilleure conservation, c'est une statistique alarmante. Comme prévu, les dommages dus aux inondations viennent en tête avec 406 cas ; suivent les manquements à la sécurité (150), les incendies (33), et 166 cas de détérioration due à l'environnement. Bien que peu d'établissement aient un plan d'urgence, beaucoup manifestent un grand intérêt pour un plan d'action souple et le principe d'une formation. Le rapport Jenkin souligne aussi les besoins des établissements de taille moins importante.

Une des conséquences immédiates du rapport Ratcliffe a été la création du National preservation office à la British library, dont F.W. Ratcliffe est président du comité consultatif. Ses fonctions sont multiples : information et conseil, publications et publicité, et organisation de cours et de séminaires. Citons parmi les réalisations la diffusion sur le petit écran d'un film réalisé par des professionnels : Keeping your words (« Ne laissons pas les écrits s'envoler »), et la participation étroite à la conférence de la Library association de 1986, sur le thème de la préservation.

Il est impossible de décrire l'oeuvre de préservation du Royaume-Uni sans parler du rôle central de la British library. Le coup d'envoi a été donné en 1973, lorsque l'ancienne bibliothèque du British Museum a fusionné avec cette nouvelle institution. Une section conservation a été créée, avec carte blanche pour multiplier les installations le plus rapidement possible. En 1983, la section conservation a fusionné avec les installations de photographie et de reprographie, pour former le Directoire de la préservation, dont le responsable rend compte personnellement au Directeur général. Ce nouveau service a élargi le champ de ses responsabilités, tant au niveau de son rôle d'autorité nationale qu'en ce qui concerne la coopération internationale.

Le service de Recherche et de Développement de la bibliothèque a apporté son soutien en subventionnant les enquêtes et publications qui l'intéressaient. Face à la réalité, il a fallu redéfinir des priorités ; la conservation devait céder le pas devant les mesures de première urgence : microfilmage, étude de traitements à grande échelle, comme le renforcement général du papier des livres endommagés par l'acidité. La clé du problème a été la sélection, et le personnel des bibliothèques a été mieux formé et sensibilisé à la gestion de la préservation. Bien que les crédits engagés par la British library pour la préservation (6,72 M£ en 1986/87) aient été supérieurs à ceux de toutes les bibliothèques réunies du Royaume-Uni, ils étaient encore nettement insuffisants pour surmonter en un laps de temps raisonnable les problèmes qui s'étaient accumulés.

La British library accorde des subventions à d'autres bibliothèques, surtout privées, pour les aider à conserver et à cataloguer des collections relevant de l'héritage national ; elle a été soutenue ces dernières années dans son action par la donation généreuse d'une fondation charitable.

Allemagne fédérale

La tradition locale et régionale, très vive en République fédérale d'Allemagne, laisse aux länder la responsabilité de l'éducation et de la culture, y compris l'approvisionnement de toutes les bibliothèques sauf celui de la Deutsche Bibliothek, à Francfort, qui est une institution fédérale. Les grandes richesses culturelles de l'Allemagne fédérale sont très dispersées. Depuis 1890, l'État et les länder ont accordé des subventions en faveur d'un système de prêt entre bibliothèques, pour aider la science et la recherche, et ont également élargi l'enveloppe budgétaire des bibliothèques générales et spécialisées, pour former un fonds documentaire national partagé.

Le développement spectaculaire des études supérieures durant les années 50 et 60, s'ajoutant à la tendance à la démocratisation du Bibliotheksplan de 1973, a entraîné un volume de demandes de ces prêts - y compris de documents anciens et rares - très préoccupant pour les utilisateurs et les bibliothécaires. Vers 1983, environ deux millions de volumes étaients prêtés chaque année, et tout le monde faisait des photocopies.

La DFG (Deutsches Forschungsgemeinschaft : Société de recherche allemande), qui est un organisme fédéral responsable de la répartition et de la coordination des crédits au niveau supranational, a accordé des fonds substantiels pour renforcer les collections des bibliothèques de recherche, améliorer le contrôle bibliographique et assurer le microfilmage, en coopération, de journaux. A défaut d'une bibliothèque nationale, c'est la Commission des bibliothèques de la DFG qui a débattu, avec la British library, de la préservation et d'autres sujets relevant de la coopération.

Un organisme de bienfaisance, la fondation Volkswagen, s'est particulièrement intéressé aux bibliothèques ; il a contribué à équiper quelques bibliothèques en ateliers de microfilms et subventionné une importante enquête sur le fonctionnement du système de prêt interbibliothèques, menée par le professeur Fabian.

Le rapport Fabian (1983) (10) a suscité de vives polémiques. Établissant un lien entre les critères de préservation et d'accès aux documents, il fait état d'un taux alarmant de détériorations de documents irremplaçables, dues à de mauvaises manipulations, à la photocopie, ou bien encore au transport. Dans le même temps, ceux qui ont besoin de travailler sur des livres rares se heurtent au problème de l'indisponibilité des documents. Les simples bibliothèques font des difficultés, et les grandes bibliothèques générales de recherche sont débordées. En conclusion, une plus grande centralisation est nécessaire, pour que la collection nationale soit répartie entre quatre ou cinq bibliothèques, par date de publication. Ces bibliothèques constitueront des collections, surtout de microformes, et seront à la fois des centres de références et de prêt, toujours sous forme de copies sur microfiches.

La pénurie de copies de documents a entraîné une utilisation excessive des documents connus, avec risques de perte et de détérioration pour les autres. C'est pourquoi des mesures ont été proposées pour accélérer l'établissement de catalogues communs en mode interactif, et l'idée a été lancée d'une enquête générale sur les ressources en livres rares de l'Allemagne fédérale. La fondation Volkswagen a soutenu cette idée, et un projet sur cinq ans est actuellement en cours de réalisation, sous la direction de M. Fabian : l'établissement d'un fonds documentaire de réserve, le service interbibliothèques de documents anciens, sous forme de copies sur microfiches, des ateliers centraux de restauration, divers outils bibliographiques, et des campagnes de sensibilisation dans la profession. La proposition essentielle, visant à créer des archives littéraires nationales divisées entre un certain nombre de bibliothèques, est encore à l'étude.

En Allemagne, comme ailleurs, on considère que le microfilmage en coopération d'un grand nombre de documents est une bonne tactique. La tendance générale en Allemagne fédérale est de faire des copies pour les prêts. La même motivation est d'ailleurs à l'origine de l'automatisation des catalogues.

L'Allemagne fédérale fait des progrès en ce qui concerne l'introduction de papier durable et d'autres matières dans la fabrication des livres, et met en place de meilleures installations pour l'éducation et la formation des conservateurs.

Les autres pays de la Communauté européenne

La Belgique souffre d'un important déclin de la recherche d'État et d'une diminution des crédits accordés aux bibliothèques universitaires depuis 1979. Aucune enquête n'a été menée sur les besoins en matière de conservation, et il n'existe dans ce domaine ni programme ni coordination. Selon le responsable de la Bibliothèque nationale, la cause essentielle de détérioration est la photocopie ; la plupart des bibliothèques universitaires, quant à elles, n'ont pas de problèmes particuliers, car elles sont relativement récentes. La Bibliothèque royale Albert 1er, qui est la bibliothèque nationale, est très moderne et bénéficie d'un environnement excellent, mais les crédits alloués à la conservation et au microfilmage sont tout à fait insuffisants.

Au Danemark, une commission de conservation a publié en 1969 son rapport Betænking 525, concernant les besoins en hommes et en formation pour la conservation dans les bibliothèques et d'autres organismes culturels, ce qui a entraîné la création de l'École de conservation d'État en 1973. Il y a un projet de microfilmage de journaux en coopération. La Bibliothèque nationale enquête par voie de questionnaires sur les besoins en matière de conservation.

Les bibliothèques de la république d'Irlande coopèrent étroitement avec celles du Royaume-Uni, dans le domaine de la conservation comme dans d'autres. La bibliothèque du Trinity college de Dublin jouit ainsi du dépôt légal pour les publications du Royaume-Uni ; elle est le centre de planification de la préservation pour la république d'Irlande et l'Irlande du Nord. Un groupe de travail de la commission de coopération des bibliothèques en Irlande concentre ses efforts en priorité sur une meilleure sensibilisation, la diffusion des techniques élémentaires de conservation et la mise en place d'un programme d'intervention d'urgence.

Le Luxembourg a tenu pour la première fois des réunions concernant l'établissement d'un programme national de préservation. Les Archives d'État organisent le microfilmage des journaux nationaux, et la Bibliothèque nationale a mené une enquête à ce sujet. Le rapport IFLA/ICA a révélé que trois des principales bibliothèques des Pays-Bas, la Bibliothèque royale et les bibliothèques universitaires de Leiden et d'Amsterdam, étaient toutes installées dans des bâtiments modernes avec air conditionné. La conservation et la préservation préoccupent peu les responsables, et peu d'actions sont menées ou envisagées dans ce sens.

Selon les estimations, environ un tiers des livres anciens qui se trouvent dans les bibliothèques du Portugal ont besoin d'un traitement en vue de leur conservation. Mais les crédits sont généralement insuffisants et l'environnement inadéquat. Le microfilmage se pratique sur une petite échelle.

En définitive...

Jusqu'à ces dix dernières années, tous ceux qui se souciaient de la préservation de l'héritage culturel, tous ceux qui avaient conscience de la détérioration, scientifiquement prouvée, due à l'acidité des documents imprimés de nos jours, ont dû être profondément démoralisés par l'apparente ignorance ou indifférence affichée dans presque toutes les bibliothèques européennes. Ces derniers temps, une prise de conscience plus importante s'est manifestée au niveau international, à la suite des efforts de la CDNL (Conference of directors of National libraries) à l'occasion de la conférence de Vienne d'avril 1986, commanditée par la CDNL avec le soutien de l'UNESCO et de l'IFLA, et du fait du lancement à cette occasion d'un nouveau grand programme de l'IFLA pour la conservation et la préservation (PAC).

Constatations unanimes

Comme il ressort de cet article, certains des principaux pays de la Communauté européenne ont lancé d'importantes enquêtes durant les années 80. Les résultats et les remèdes prescrits ont été d'une similitude frappante. Certains grands organismes, comme la Bibliothèque nationale, à Paris, et la British library, ont vu leurs installations se développer de façon importante. L'Allemagne fédérale, la France et le Royaume-Uni ont lancé de grands projets de microfilmage. Les catalogues communs en mode interactif devraient conduire, à plus ou moins brève échéance, à l'établissement de répertoires nationaux de microfilms mères, reliés entre eux selon le modèle américain, avec, bien sûr, une liaison électronique avec l'Amérique du Nord. Certes, l'Europe et l'Amérique ont fait porter leurs efforts soit sur la conservation de documents, soit sur la préservation du contenu de l'information, mais le fossé se comble dans le sens d'une coopération internationale d'ensemble.

Toutes les enquêtes n'ont pas porté sur tous les points suivants, cependant ce sont là des constatations et des problèmes qui ont fait l'unanimité :
- une détérioration qui a pris des proportions gigantesques, du fait de la combinaison de plusieurs facteurs : la négligence, l'acidité des documents, un environnement de mauvaise qualité, les catastrophes naturelles et celles provoquées par l'homme, le manque de contrôle bibliographique et une utilisation trop fréquente des documents ;
- il y a trois catégories de problèmes : les documents anciens endommagés, les documents modernes dont le papier devient cassant, et la courte durée de vie des documents autres que les livres ;
- la préservation et l'accès aux documents sont également prioritaires et ne s'excluent pas mutuellement. La sécurité se situe également sur le même plan ;
- l'inertie et l'indifférence générales ;
- des crédits tout à fait insuffisants ;
- trop peu de conservateurs, avec un statut et des qualifications peu satisfaisantes ;
- l'absence de cours sur la préservation dans la formation des bibliothécaires ;
- un manque d'informations statistiques et l'absence de politique, de structure et d'organisation au niveau national dans le domaine de la préservation ;
- pas de norme imposant l'utilisation de papier « permanent », ni d'accords passés dans ce sens avec les éditeurs ;
- une politique réaliste doit s'appuyer sur la sélection ;
- l'ampleur du problème des livres qui deviennent cassants nécessite un traitement à grande échelle, recourant à la désacidification en masse et à la création de documents de substitution ;
- le microfilm est actuellement le seul moyen d'archivage de substitution qui ait fait ses preuves, mais c'est un procédé qui coûte cher, et nécessite, pour être rentable, une coopération la plus vaste possible ;
- la technologie optique a un bel avenir comme moyen futur de préservation et d'accès au document ; même si elle n'offre pas de grandes possibilités actuellement, il convient de la suivre de près.

Une véritable politique

Cette étude a abouti de toute évidence à des conclusions similaires, sauf en ce qui concerne le degré d'optimisme face aux développements récents.

Les directeurs de bibliothèques ont quelque peu pris leurs distances par rapport à ces problèmes. Leur point de vue, selon lequel la préservation n'est qu'une priorité parmi tant d'autres, se défend, mais uniquement dans le sens où « l'accès aux documents est la raison d'être de la préservation », selon les termes mêmes de D.H. Stam.

De même que les préservationnistes doivent accepter les priorités découlant du service à l'usager d'aujourd'hui, il faut comprendre que le bon entretien et la préservation judicieuse des collections sont des composantes de la bonne gestion d'une bibliothèque. Ce n'est pas uniquement en hommage au passé que l'on doit conserver les livres anciens. Leur utilisation doit être contrôlée, dans l'intérêt des futurs lecteurs.

Techniquement parlant, la qualité des politiques de préservation dépend de l'état du contrôle bibliographique et de la communication des fonds. La politique de développement du fonds documentaire va de pair avec la politique de préservation.

Il convient enfin de saluer l'attitude nouvelle des associations professionnelles. La conservation et la préservation, jadis considérées comme des thèmes archipoussiéreux, sont aujourd'hui des sujets de conférences en vogue. Mais cette prise de conscience doit maintenant se concrétiser par des décisions budgétaires.

mars 1988

Illustration
Les différents supports - (Fréquence d'utilisation et volume des documents)

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