La lecture du mois

Jean-Marie Massadau

René Fillet

Les expériences des Bibliothèques municipales de Tours puis de Troyes permettent de déterminer les méthodes et les avantages d'une présentation « Lecture du mois » autour d'un thème d'actualité. L'intérêt de cette dernière pourrait être accru par un dialogue entre bibliothèques municipales

De Tours à Troyes...

La Bibliothèque municipale de Tours présente chaque mois, depuis plus de trois ans, un thème de lecture aux lecteurs de la section de lecture publique : il s'agit de suggérer aux usagers qui viennent sans que leur choix soit préalablement fixé, un sujet de lecture. A cette fin une bibliographie de ce que possède la bibliothèque sur le thème choisi est établie; la liste ainsi obtenue est dactylographiée sur dix feuilles 21 X 27, illustrées de photographies découpées dans des revues et placées dans des cadres accrochés dans l'entrée de la section de lecture publique. Dans la salle de prêt, sur des chariots-présentoirs, les livres sont offerts à la vue du public; dans le magasin de la section, d'autres livres sont stockés, attendant d'être mis à leur tour sur les chariots (lorsque ces livres viennent de la section d'études, un papillon est inséré à l'intérieur attirant l'attention des emprunteurs sur les ressources que leur offre cette section); enfin, un article est envoyé à la presse locale.

De multiples sujets ont été traités, de l'orientation scolaire et professionnelle à la paix, des problèmes paysans à l'humour en passant par les mémoires, journaux, correspondances, élections présidentielles, Jeux Olympiques, cinéma, racisme, etc.

Après avoir observé au cours de notre stage ce qui se faisait à Tours et participé à l'élaboration d'un de ces thèmes du mois, nous avons avec l'approbation de Mlle F. Bibolet, conservateur de la Bibliothèque municipale classée de Troyes, modifié la formule mise en œuvre à Tours, insistant sur la technique de présentation matérielle, exploitant son intérêt bibliographique, élargissant son objectif de diffusion culturelle.

La présentation matérielle.

Elle revêt, nous semble-t-il, une particulière importance.

La présentation imagée d'un thème de lecture est susceptible de retenir très fortement l'intérêt de lecteurs encore indécis; nous pensons qu'il faut trouver une illustration qui soit le symbole du thème proposé, rejoignant ici l'esprit de ce directeur de collection qui affirme : « le livre de poche se vend de face ». Par exemple, pour le lancement de notre première « Lecture du mois », en décembre 1967, nous avions choisi le thème de la Paix; la Colombe de la Paix de Picasso pouvait à elle seule illustrer notre thème; de même, en janvier 1968, une belle photographie aérienne d'un complexe urbain moderne a joué un rôle attractif et symbolique identique pour le thème de l'urbanisme.

Ce thème, une bibliographie sélective, l'illustration, des phrases-clés d'auteurs célèbres sont présentés sur un tableau d'assez grandes dimensions, mobile, les divers éléments pouvant être ainsi présentés :

Cette maquette n'est donnée qu'à titre d'exemple, une disposition différente des éléments pouvant être envisagée selon le format de l'illustration.

Sur ce tableau nous n'aurons qu'une liste sélective des livres les plus récents (pas plus de 10 à 15 ans en arrière) et de ceux plus anciens mais jugés toujours essentiels. D'autre part, une liste exhaustive de tous les livres du thème possédés par la bibliothèque sera dactylographiée et placée soit sur les présentoirs soit tenue à la disposition du lecteur; elle indiquera auteur, titre, date d'édition, cote.

Quant aux livres, ils sont posés à plat sur une table et exposés de face (comme à la devanture d'un libraire) sur des présentoirs placés assez haut, le tout à proximité du tableau.

Nous avons pu très rapidement observer que tableau et présentoirs sont, à Troyes du moins, psychologiquement mieux placés dans un coin de la salle de prêt, en retrait des épis centraux, que dans l'entrée : le choix des lecteurs qui feuillettent plusieurs livres avant l'emprunt en est facilité.

Intérêt bibliographique.

La liste complète des livres possédés par la bibliothèque fournit, pour chaque thème, une bibliographie fort utile pour les lecteurs puisqu'elle leur permet de connaître très rapidement les ressources dont ils peuvent disposer; elle regroupe ce que le fichier disperse et met en valeur le rôle de centre de documentation que doit jouer toute bibliothèque municipale.

La « Lecture du mois » joue également un rôle important dans le domaine des acquisitions : lorsque le bibliothécaire met au point le thème choisi, il prend la mesure exacte de l'état actuel de son fonds, en remarque les déficiences. La recherche bibliothéconomique conduite avec méthode pour dresser la liste sélective imposera pratiquement des commandes qui accroîtront la richesse des collections; c'est donc un excellent incitateur.

Diffusion culturelle.

Elle commence par l'aide au lecteur qui utilise déjà la bibliothèque. La « Lecture du mois », qui n'est ni une lecture dirigée ni une explication de lecture, est un conseil, une invitation au dialogue, une approche de collaboration lecteur-bibliothécaire.

Nous avons en effet placé au milieu même des livres présentés un cahier destiné à recevoir les avis et opinions : le lecteur pourra ainsi critiquer, souligner une lacune, suggérer un thème (ce qui est encore plus important au point de vue de sa démarche). Alors, l'acquisition de certains ouvrages, le choix des thèmes, deviendront des œuvres collectives et le bibliothécaire ne sera pas seulement un distributeur ou un technicien du livre mais un animateur coopérant avec un lecteur qui cessera d'être simple usager pour devenir personnage actif.

Et ceci quel qu'il soit, où qu'il soit : une annexe ne saurait sur ce point être traitée différemment de la bibliothèque municipale centrale; elle recevra un tableau identique, des livres de même valeur y seront placés sur table ou présentoir; les acquisitions nouvelles l'enrichiront également et elle participera efficacement à ce rôle de documentation dont nous avons souligné l'importance.

Le choix d'un thème mensuel entraînera une grande variété dans ceux-ci et imposera au public le caractère essentiel d'une bibliothèque municipale : la polyvalence de la documentation qu'elle peut offrir.

Le lecteur « potentiel », celui qui n'a pas encore franchi le seuil de la bibliothèque parce qu'il estime que « la bibliothèque c'est très bien, mais c'est fait pour les autres » sera certainement sensibilisé un jour par la publicité faite régulièrement autour des successives « lectures du mois ». Un article court insistant sur quelques livres essentiels sera communiqué à tous les journaux locaux et repris dans l'émission régionale de la radio ou de la télévision; il deviendra un excellent véhicule de diffusion culturelle du thème choisi et un rendez-vous permanent avec le lecteur.

Une présentation des livres les plus importants du thème du mois à la télévision régionale permettra notamment d'insister sur l'invitation à collaborer, à créer peu à peu un dialogue : la bibliothèque sera alors non seulement un lieu de passage mais de rencontre; cela sera d'autant mieux réalisé que le thème serrera de près l'actualité.

Ainsi, la « Lecture du mois », au delà d'une orientation de lecture, d'une aide au lecteur, est intéressante par le seul fait qu'elle symbolise la vitalité de la bibliothèque municipale au sein de la cité, son accord avec les préoccupations des habitants; elle peut être une des clefs du dialogue à instaurer pour faire de la bibliothèque une vivante maison de la culture à partir du livre.

Et autres lieux...

Je saisis l'occasion que l'article de notre collègue Massadau me semble offrir pour proposer également un dialogue, mieux encore : des échanges, mais cette fois-ci entre bibliothèques municipales, qu'elles soient classées ou non.

Je sais par expérience ce que représente la mise au point d'un thème du mois (ou d'une lecture du mois) comme travail de recherche, de lecture, de dépouillement bibliographique; quelles que soient les excuses que l'on pourrait trop souvent invoquer (maladie du personnel, programme de travail soudain bouleversé par un imprévu, etc), il faut, comme un journal, sortir à l'heure, par respect du lecteur comme par fierté pour la bibliothèque et le but qu'elle poursuit. Ce n'est pas mince affaire.

Cette réalisation est-elle au moins utile, l'effort qu'elle exige est-il justifié par l'intérêt qu'y prennent les lecteurs, n'avons-nous pas déjà négligé des travaux importants, faute de temps et de moyens ? Certes, les objections ne manquent pas; elles se présentent même en foule dès qu'une action nouvelle est proposée, tentée : nous sommes menacés davantage par la puissance de notre esprit critique, donc paralysant, que par la faiblesse de nos moyens.

Cependant, faisons le compte des arguments positifs énumérés par notre collègue et nous verrons qu'il est nettement créditeur. Je mettrai au premier plan la force d'impact contre toute la mythologie traditionnelle, les idées reçues dans le public à propos des bibliothèques, idées qui en détournent le public autre que traditionnel ou obligatoire. Rien que pour cela le thème ou la lecture du mois mérite d'être mis en œuvre dans les bibliothèques publiques.

Si l'on considère les chiffres, les résultats sont faibles : les dix thèmes du mois de 1967 représentent 1,2 % des emprunts des lecteurs adultes et adolescents à la Bibliothèque municipale de Tours. C'est peu, mais songeons qu'il s'agit au fond de la mise en valeur de livres, au même titre qu'une exposition, qui n'obère pas le budget-argent, même s'il coûte en budget-temps.

Autre élément de réflexion : l'attention du lecteur est attirée sur des sujets intéressants qu'ils soient classiques (cinéma, poésie, sport) ou d'actualité, des livres de valeur lui sont proposés : il y a incitation à une lecture de qualité.

Enfin, je suis persuadé que la lecture du mois représentera très vite, dans une bibliothèque municipale qui s'ouvre à une saine conception de son rôle de bibliothèque publique une part plus importante des emprunts, passé la période de lancement que j'évalue à deux ou trois mois. L'effort nécessaire sera donc plus justifié.

Mais réfléchissons aux méthodes et, afin d'alléger la charge de chacun, sortons enfin de notre « splendide » et misérable isolement, unissons nos moyens. Voici ce que je propose :
- que dix bibliothécaires s'accordent pour choisir ensemble les dix thèmes qui seront traités de septembre 1968 à juin 1969 ;
- que chacun traite un des thèmes, suivant la formule adoptée par notre collègue et transmette aux neuf autres, au mois de mai 1968 au plus tard (afin de permettre les éventuelles commandes) :
la liste sélective;
l'illustration-symbole choisie;
les citations (ou phrases-clefs);
l'article destiné à la presse, à la radio, à la télévision locales (il devra être court).

Que restera-t-il alors à faire à chacun ? Présenter, comme il l'entend, la documentation reçue; dresser à partir de ses catalogues, la liste complète des livres qu'il peut mettre à la disposition de ses lecteurs; modifier éventuellement l'article en fonction de la psychologie locale.

C'est facile, me semble-t-il et cela devient possible simplement parce que chacun recevra, moins que dans la Bible certes, mais plus que dans un échange égalitaire, neuf fois plus des autres qu'il ne leur donnera. Il suffit de vouloir coopérer.

Cette coopération, je le souligne, n'a rien de contraignant. Chaque bibliothécaire participant donnera le titre qui lui plaît à cette technique : « lecture du mois », « livres du mois », « thème du mois »... Il pourra choisir l'ordre des sujets retenus d'un commun accord, utiliser ou non le travail de ses collègues : si un sujet d'actualité ou un événement local lui parait plus important, libre à lui de lui donner priorité sur les autres, quitte à transmettre ensuite son travail à ses collègues associés.

Je suis certain que notre collègue Massadau se fera un plaisir de recevoir les adhésions de nos collègues enthousiastes; en tout cas, que les autres se rassurent : il ne sera pas désigné de volontaires.

Illustration
Lecture du mois